InterviewJeune Marine N°272

Entretien avec Pierre-Yves LARRIEU, auteur du livre « La Décarbonation des Navires »

Par Charles HAINAUX

Jeune Marine vous présente le livre « La Décarbonation des Navires » de Pierre-Yves Larrieu publié en novembre 2023 aux Editions Maritimes d’Oléron. Ce livre à destination première des élèves ingénieurs en génie maritime intéressera cependant les officiers et élèves officiers de la marine marchande ainsi que tous les acteurs du monde maritime impliqués dans la réduction des émissions de GES. Complet et dense, les informations se piochent au gré des interrogations sur la réglementation, les innovations techniques et les carburants alternatifs qui sont ou pourront être utilisés demain pour relever le défi du monde maritime, sa décarbonation !

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Charles HAINAUX : Bonjour Pierre-Yves Larrieu, actuellement consultant et expert maritime, pouvez-vous présenter à nos lecteurs votre parcours professionnel ?

Pierre-Yves Larrieu : J’ai commencé ma carrière en tant que mécanicien, puis Chef Mécanicien, de la Marine Nationale. J’ai ensuite été enseignant en machines marines à l’École Nationale de la Marine Marchande de Marseille puis de Nantes, avant d’exercer des fonctions d’expertise et de direction au sein de l’enseignement maritime. Professeur en Chef de 1e classe de l’Enseignement Maritime (er), j’exerce désormais en tant qu’expert maritime et consultant. Je continue à délivrer des enseignements, mais plus ponctuellement.

 

Charles HAINAUX : Comment vous est venue l’envie de travailler sur le sujet de la décarbonation des navires ? Quelle est a été votre motivation première ?

Pierre-Yves Larrieu : En 2023, j’ai eu le privilège de pouvoir délivrer des enseignements aux étudiants en filière Ingénieur en Génie Maritime de l’ENSM de Nantes, futurs acteurs de la décarbonation des navires et de l’économie maritime. J’ai alors réalisé qu’il n’existait aucun ouvrage synthétique sur le sujet en langue française. Ma motivation première était de répondre aux besoins des étudiants, qu’ils soient futurs officiers de marine marchande ou futurs ingénieurs en génie maritime. Il s’est avéré finalement que le livre intéresse beaucoup de monde.

 

Charles HAINAUX : Quelles ont été vos principales sources pour établir cet état des lieux des connaissances en matière de décarbonation des navires ? Avez-vous été confronté à un certain lobbying ? Combien de temps avez-vous mis pour écrire ce livre ?

Pierre-Yves Larrieu : Il n’y a pas eu de sources principales, même si j’ai consulté de nombreuses publications de l’OMI. Au total, la bibliographie comprend environ 500 références, dont beaucoup d’articles scientifiques. Et à peu près autant de références que j’ai écartées, car trop peu scientifiques ou trop engagées. Je tenais à être le plus objectif et le plus informationnel possible. Il y a effectivement beaucoup de lobbying, en faveur de dispositifs techniques ou de carburants alternatifs, qui n’est pas toujours scientifiquement fondé. Il faut faire le tri.

Pierre-Yves Larrieu : Je dis souvent que j’ai mis 6 mois et vingt ans pour écrire ce livre. 6 mois, c’est le temps de rédaction proprement dit, mais j’ai accumulé des connaissances sur le sujet pendant plus de 20 ans. Mon mémoire d’enseignant stagiaire en 1999 portait déjà sur l’utilisation des piles à combustible en propulsion navale.

 

Charles HAINAUX : Après avoir effectué une revue quasi exhaustive des technologies existantes et en devenir, avez-vous une préférence pour l’une d’entre elles ?

Pierre-Yves Larrieu : Non. Et je suis régulièrement agacé par ceux qui prétendent que telle ou telle technologie, ou énergie alternative, est LA solution à la décarbonation du transport maritime. Il existe de nombreuses solutions adaptées à la décarbonation de types de navires très différents, et que l’on peut combiner entre elles en fonction des besoins rencontrés.

On peut cependant noter que la seule solution mature et opérationnelle de décarbonation quasi-complète, disponible immédiatement, et qui semble disposer d’une rentabilité correcte, est la propulsion vélique. J’observe avec un intérêt particulier ces technologies. Va t-on voir apparaître des cargos véliques de grande taille, et en nombre, capables de remplacer le flux de transport des navires à propulsion mécanique ? Ou les cargos véliques resteront-ils une niche ?

L’avenir le dira, mais j’ai une sincère admiration pour les néo-armateurs à la voile qui prouvent que l’esprit pionnier et la volonté d’entreprendre sont toujours bien vivaces dans la marine marchande.

Je note également que les grands armateurs traditionnels ne sont pas en reste et investissent massivement dans la transition énergétique. Pêche, ports et plaisance sont également dans le mouvement. Dans quel autre secteur voit-on un élan si unanime ?

 

Charles HAINAUX : Même question pour l’énergie, quelle est selon vous l’énergie du futur ou du moins celle qui sera dominante en 2050 ?

Pierre-Yves Larrieu : Alors là je peux répondre avec certitude : c’est l’énergie, l’enthousiasme et le dynamisme des étudiants actuellement en formation à l’ENSM, mais aussi dans les autres écoles d’ingénieurs impliquées dans l’économie maritime : l’École Centrale de Nantes, l’ENSTA, l’ESTACA et d’autres. Cet avenir est le leur. C’est eux qui vont le forger.

 

Charles HAINAUX : Quel est selon vous le plus grand défi : la conception des moteurs, l’approvisionnement en e-carburants ou bien leur stockage ?

Pierre-Yves Larrieu : Rien de tout cela. Le plus grand défi, c’est le financement.

Les difficultés techniques se résolvent par la recherche. Les technologies innovantes se diffusent grâce à l’investissement. Les besoins en financement pour la recherche, le développement industriel et l’acquisition des nouveaux matériels sont énormes pour réussir la transition énergétique maritime. On parle de plusieurs dizaines de milliards d’euros.

De nombreux acteurs privés sont pleinement mobilisés, mais disposent de moyens limités. On ne peut que déplorer la faible implication de la puissance publique au regard des besoins. La communication et les effets d’annonces autour de quelques projets innovants apparaissent dérisoires au regard des financements nécessaires aux investissements portuaires, au développement de la construction navale et au remplacement des navires existants par des navires à faibles émissions de GES.

 

Charles HAINAUX : Ne pensez-vous pas que la décarbonation passe en tout premier lieu par l’acceptation mondiale d’une « décroissance » globale (consentie ou subie) ?

Pierre-Yves Larrieu : Je suis convaincu que les populations ne sont prêtes à renoncer ni à leur style de vie, ni à leurs libertés, ni à leurs croyances, ni à la perspective d’une plus grande aisance matérielle et d’un plus grand confort. Cela me semble inhérent au genre humain : c’est ce qui nous a fait progresser depuis l’âge de pierre.

Je sais aussi qu’aucune entreprise n’investira dans une technologie verte qui n’est pas rentable et qui mettrait sa survie économique en péril.

Partant de ce constat, à chaque fois que l’on cherche à « interdire » ou à « imposer » plutôt qu’à « convaincre », « inciter », « aider » ou « accompagner », l’on fait fausse route, et on crée des conflits contre-productifs. Le dirigisme n’a jamais permis d’innover et de surmonter les problèmes.

Je crois beaucoup plus à l’esprit d’entreprise, à la recherche et à l’innovation.

 

Charles HAINAUX : D’une manière générale, êtes-vous optimiste sur la réussite de ce défi mondial ?

Pierre-Yves Larrieu : Ni optimiste, ni pessimiste. L’humanité fera ce qu’elle pourra et ensuite ce sera plus ou moins douloureux.

C’est parce que l’homme a un grain de folie qu’il fait des choses extraordinaires. C’est parce que l’homme a un grain de folie qu’il se met dans des situations impossibles.

 

Charles HAINAUX : Quel est votre prochain projet de recherche ou d’écriture ?

Pierre-Yves Larrieu : Le livre que je rédige actuellement traite des opérations de maintenance, du passage en cale sèche et des essais à la mer des navires. Il n’existe aucun livre sur le sujet en langue française, et peu en langue anglaise. J’en profite d’ailleurs pour lancer un appel. Je suis à la recherche de photos de bassins, de leurs apparaux, etc., de passage en cale sèche et des opérations de maintenance correspondantes pour illustrer cet ouvrage. Merci de me contacter sur Linked’in
(https://www.linkedin.com/in/pierre-yves-larrieu-4457056b/).


 

 

 

 

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