ArmementsJeune Marine N°273

Dumping social, émissions de GES, Edouard LOUIS DREYFUS et Jean-Philippe CASANOVA reviennent sur une année 2023 charnière

Une vague de défis inédits se profile à l’horizon. Armateurs de France est sur le pont pour anticiper, sécuriser et faciliter les transformations à venir. Cette nouvelle édition revient sur les enjeux et l’ambition du secteur du transport et des services maritimes ainsi que les évènements de l’année 2023 : Édouard Louis-Dreyfus, Président d’Armateurs de France élu le 4 avril 2023, et Jean-Philippe Casanova, Délégué Général de l’Association professionnelle, font le point de cette année qui marquera un tournant pour les marins.

 

« NOUS SOMMES ET RESTERONS INTRAITABLES

SUR LES QUESTIONS DE DUMPING SOCIAL. »

 

Que retenez-vous de 2023 ?

ÉDOUARD LOUIS-DREYFUS : L’un des temps forts indéniables de 2023 est la victoire collective dans la lutte contre le dumping social sur le Transmanche, avec la promulgation de la loi Le Gac le 26 juillet. Ce progrès est le fruit d’une mobilisation générale forte, rapide et efficace de l’ensemble de l’écosystème, des armateurs des deux côtés de la Manche au Gouvernement français en passant par les organisations syndicales. Il était important de tout mettre en œuvre immédiatement pour faire cesser un cas flagrant de distorsion de concurrence et de défendre les conditions de travail et de salaire des marins. La route reste longue mais nous sommes et resterons intraitables sur les questions de dumping social.

JEAN-PHILIPPE CASANOVA : Chez Armateurs de France, nous sommes résolument engagés dans la lutte contre le dumping social, car il affecte directement des enjeux essentiels tels que l’emploi et la qualité de vie au travail. Nous nous félicitons que notre prise d’initiative, notre action structurée et notre détermination, conjuguées à la volonté et aux efforts des différentes parties prenantes, aient conduit à un dispositif législatif rétablissant l’équité, l’attractivité des métiers et des armateurs français. La lutte contre le dumping social doit prendre une dimension européenne, en incluant les équipages dans une réflexion sur un socle des droits sociaux dans l’UE.

Des progrès ont-ils été réalisés sur d’autres dossiers ?

JEAN-PHILIPPE CASANOVA : Le progrès le plus emblématique est la signature de la grille des minima des personnels officiers, à l’unanimité des partenaires sociaux. C’est un immense motif de satisfaction, surtout après une décennie sans consensus paritaire ! Par ailleurs, nous nous sommes fixé comme objectif d’aboutir à un accord sur les minima tous les ans.
C’est ainsi qu’en janvier 2024, une revalorisation de 4 % de la grille a été actée, soit une augmentation de 14 % pour les officiers sur deux ans. Quant aux minima des personnels d’exécution, le travail continue en vue d’obtenir un consensus. Dénouer ce point de blocage est essentiel afin de continuer à travailler efficacement sur les autres enjeux prioritaires de la branche : prévoyance, mixité, lutte contre les violences sexuelles et sexistes…

ÉDOUARD LOUIS-DREYFUS : L’accord sur les minima conventionnels des personnels d’exécution n’a pas été signé depuis 2003. Il est temps d’avancer sur ce sujet important pour le personnel navigant, mais aussi pour la compétitivité des armateurs français. Cette revalorisation prend en effet tout son sens dans le cadre du dispositif dit « de l’État d’accueil » et notamment à l’heure où le Gouvernement français entend accélérer sur les énergies marines renouvelables. Au-delà des bénéfices pour les salariés concernés, les minima sociaux fixent le seuil à partir duquel se joue la concurrence dans les eaux territoriales françaises.

JEAN-PHILIPPE CASANOVA : Je suis confiant dans notre capacité collective à parvenir à un accord dans un futur proche. Que ce soit du côté patronal ou salarial, toutes les parties prenantes ont conscience de la nécessité d’aboutir.

Un accord portant sur la promotion sociale a récemment été signé par Armateurs de France, le secrétaire d’État à la Mer, les représentants syndicaux des marins au commerce et l’OPCO Mobilités. En quoi consiste-t-il ?

JEAN-PHILIPPE CASANOVA : L’objectif de cet accord historique est de favoriser les parcours de carrière, dans un contexte où l’ascenseur social est quelque peu grippé ces dernières années. L’idée est de libérer les verrous de la VAE (validation des acquis de l’expérience) pour que les personnels d’exécution puissent progresser vers des postes d’officiers. L’attractivité de nos métiers et de nos parcours professionnels est essentielle pour répondre aux enjeux de recrutement dans la marine marchande.

ÉDOUARD LOUIS-DREYFUS : C’est un accord gagnant-gagnant. D’une part, il élargit le champ des opportunités pour le personnel navigant. D’autre part, les armateurs étoffent leur réservoir de talents dans un contexte de croissance et, donc, de besoin de main-d’œuvre. Tous les leviers
à même de susciter des vocations doivent être activés. Avec l’ENSM (École Nationale Supérieure Maritime) par exemple, nous sommes parfaitement alignés sur les objectifs à atteindre. L’une des missions de la fondation, créée l’an dernier par l’ENSM, est ainsi de renforcer la visibilité des métiers et de les promouvoir.

JEAN-PHILIPPE CASANOVA : Depuis de nombreuses années, nous collaborons étroitement avec l’ENSM, dont l’objectif est de doubler les effectifs d’officiers formés d’ici 2027. Nous sommes pleinement associés à la convention d’objectifs et de performance de l’école et aux mesures prises. Nos échanges sont réguliers et constructifs afin d’intégrer au mieux les enjeux de la filière. Les résultats sont probants : le taux d’emploi des diplômés de l’ENSM avoisine
les 100 %.

L’été dernier, l’OMI (Organisation Maritime Internationale) a revu à la hausse son ambition
climatique. Le transport maritime mondial est appelé à parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050, avec des objectifs intermédiaires de réduction de 20 à 30 % d’ici 2030 et de 70 à 80 % d’ici 2040 par rapport à 2008. Qu’en pensez-vous ?

ÉDOUARD LOUIS-DREYFUS :  C’est le sens de l’histoire. La prise de conscience de la nécessité et de l’urgence de réduire nos émissions de CO 2 et de gaz à effet de serre est collective et réelle. Aujourd’hui, le maritime est le mode de transport le plus efficace à la tonne
transportée : alors que 90 % des marchandises mondiales transitent par les mers et les océans,
les émissions de CO 2 liées à cette activité ne représentent que 2,89 % du total mondial. Néanmoins, c’est toujours trop et le transport maritime, qui ne va pas cesser de croître, doit jouer
son rôle pour décarboner les échanges commerciaux mondiaux. Rappelons cependant que cette
décarbonation aura un coût qui devra être supporté par les consommateurs finaux.

Les objectifs de 2030 vous semblent-ils atteignables ?

ÉDOUARD LOUIS-DREYFUS : Les ambitions de l’OMI sont louables et stimulantes mais elles sont mises à l’épreuve par le principe de réalité. La plupart des armateurs français devraient être au rendez-vous de 2030, grâce à un large éventail de solutions : de l’écoconduite aux systèmes d’aide à la propulsion en passant par l’optimisation de l’énergie consommée à bord. À titre d’exemple, la réduction de la vitesse est l’un des moyens simples, efficaces et économiques pour réduire les émissions de CO2 : une diminution de 10 à 15 % de la vitesse d’un navire réduit de 30 à 40 % sa consommation de fuel. Toutefois, la plupart des options à disposition présentent un coût, parfois conséquent. Investir pour décarboner leur flotte peut représenter un réel obstacle pour les armateurs, dont beaucoup en France sont des PME. Il est capital de trouver des solutions pour les accompagner dans leur transformation.

Quid de la neutralité carbone en 2050 ?

ÉDOUARD LOUIS-DREYFUS :  C’est une tout autre histoire ! Parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050 semble complexe, même avec la meilleure volonté du monde. Devant nous se dresse un mur de triple épaisseur. Tout d’abord, du point de vue financier : 75 à 110 Md€ sur 2023-
2050, telle est l’enveloppe – faramineuse – nécessaire à la décarbonation de l’ensemble de
la filière maritime française. Deuxièmement, nous sommes limités par rapport aux solutions tech-
niques actuellement disponibles. De rares carburants sont compatibles avec la neutralité carbone. Aucun d’entre eux ne s’impose à tous actuellement mais, surtout, nous sommes à des
années-lumière d’une production industrielle à la hauteur des besoins qui regroupent également
le transport aérien et terrestre. Troisièmement, la contrainte logistique ne doit pas être sous-es-
timée. La généralisation d’un nouveau carburant va nécessiter l’adaptation des ports du monde
entier… Si la décarbonation est impérative, le chemin pour y parvenir est semé d’embûches et
d’incertitudes.

JEAN-PHILIPPE CASANOVA : Armateurs de France appelle de ses vœux un cadre international stable et cohérent pour s’assurer que tout le monde avance dans le même sens. Nous nous inscrivons dans un cadre concurrentiel où il est capital que tous les acteurs soient soumis au respect des mêmes règles. En outre, il nous semble indispensable d’inclure tous les gaz à effet de serre dans les futures réglementations. Ne s’intéresser qu’au seul CO2 n’est pas pertinent. De même et dans cette logique, les émissions doivent être comptabilisées en well-to-wake, c’est-à-dire du puits au sillage.

ÉDOUARD LOUIS-DREYFUS :   Enfin, j’ajoute que 2050, c’est demain ! La transformation environnementale des armateurs s’inscrit dans un temps long, du fait de la durée de
vie des navires. Un bateau commandé aujourd’hui, livré dans trois ans, a toutes les chances d’être encore en activité en 2050. La neutralité carbone s’anticipe donc dès aujourd’hui. En outre, le zéro émission nette de gaz à effet de serre en 2050 présuppose le renouvellement quasi intégral de la flotte mondiale. Mission impossible : en tenant compte de la capacité de production actuelle des chantiers navals à travers le monde, nous avons calculé que la fabrication prendrait… 100 ans !

Retrouvez l’intégralité des échanges et tout ce qu’il fallait retenir de cette année 2023 dans le rapport annuel d’Armateurs de France directement en ligne en cliquant ICI

Envie de prolonger les échanges en « live » ? Jeune Marine avait rencontré Edouard LOUIS-DREYFUS pour un « On se dit tout ! » exclusif : https://jeunemarine.fr/2023/11/on-se-dit-tout-linterview-dedouard-louis-dreyfus/

CORSICA linea recrute... DES OFFICIERS PONT & MACHINE CORSICA linea recrute... DES OFFICIERS PONT & MACHINE

Nos abonnés lisent aussi...

Bouton retour en haut de la page