Brèves

Conférence decarbonation du maritime 24 mai 2024 à l’université de Rennes 1

Le plus vieux bateau du monde date de 9.000 ans. Il est bien sûr à rames, et il est français. II a été découvert, à Nandy, près de Paris.

Tahiti, toujours en France, a été peuplée il y a 3.000 ans, probablement grâce à l’usage de voiles sur les pirogues.

En 1822, le moteur à vapeur alimenté au charbon monte à bord.

En 1912 le premier navire océanique équipé d’un moteur diesel prend la mer. Il y a seulement 112ans.

L’histoire des combustibles maritimes © Colomban Monnier DR

 

Il est donc légitime de se projeter au-delà de cette phase d’utilisation du carburant fossile, qui correspond à 2% de la période de navigation de l’humanité.

Bien sûr, on peut faire mieux ! Surtout vu l’impact écologique et la dépendance énergétique que l’usage massif d’un pétrole peu cher entraîne.

 

Alors comment calcule-t-on les émissions sur un navire ?

On se base sur l’intensité carbone du carburant consommé à bord. Par exemple, chaque tonne de diesel marin brûlé émet 3,206 tonne de CO2.

Ainsi des indicateurs comme le Carbon Intensity Indicator (CII) permet de pousser les acteurs maritimes à réduire chaque année l’intensité carbone du transport pour rester en conformité avec la règlementation. Soit on utilise un carburant avec une plus faible intensité, soit on utilise moins de carburant.

Bien sûr, si on veut être exhaustif (et l’Union Européenne souhaite l’être dans sa réglementation), le carburant a lui même un cycle de vie.

D’abord il y a bien sûr les émissions générées par la production et le transport du combustible avant son usage. On appelle cela le Well-to-Tank. Du puits de pétrole à la soute du navire.

Car il faut aller chercher ce combustible, parfois facilement, parfois en fracturant la roche, parfois en creusant au fond des océans (ce qui représente 30% du pétrole produit aujourd’hui). Tout cela nécessite une logistique importante.

Le produit obtenu n’est pas utilisable bien sûr, il faut le transformer. En 2018, 946 raffineries produisaient 98 millions de barils par jour. Pour des émissions de 1 milliard 242 millions de tonnes de CO2. Ce n’est pas rien.

Enfin, il faut le transporter, ce qui bien sûr passe massivement par la voie maritime. Le transport maritime dans son ensemble absorbe 7% du pétrole produit…. notamment pour transporter du pétrole, qui représente 30% du volume du commerce maritime mondial.

Là, on a l’impact du puits à la soute du navire.

Ensuite, il y a bien sûr l’impact lors de la combustion pour faire avancer notre navire. On appelle cela la Tank-to-Wake : de la soute à combustible au sillage du navire.

Le moteur marin est très efficace. Et le transport maritime en général.

Je vais illustrer ce point en empruntant quelques éléments des références à Pierre Marty, enseignant en transition écologique à Centrale Nantes.

Prenons un porte-conteneurs classique transportant 20.000 conteneurs.

Si nous les mettons tous les uns derrière les autres, nous pouvons aller de l’Université de Rennes jusqu’à la plage à Saint-Malo, et revenir.

Un seul navire porte tout cela.

Il avance à 35km/h grâce à un moteur de 100.000 chevaux. 13 mètres de haut, 26m de long… un immeuble ! Et oui, on peut même rentrer dedans.

On peut comparer la puissance de ce navire à 1600 Twingos. Mais la combustion dans le moteur de notre navire est 2 fois plus efficace que dans une Twingo : si on compare la consommation, et donc les émissions de gaz à effet de serre, on est donc plutôt à 800 Twingos.

Nous avons ainsi l’équivalent d’une Twingo qui tracte 12 conteneurs chargés.

En termes d’émission, le transport maritime permet de déplacer une tonne de marchandise sur un kilomètre en émettant 13g de CO2. Le train, c’est 26g de CO2 (car oui, les trains à marchandises roulent au diesel), le transport routier est à 94g et l’avion… à 574g de CO2.

Part des émissions mondiales et coût CO2 du transport © Colomban Monnier DR

 

Ainsi, le commerce maritime est à la fois l’outil principal, l’héritage et le futur des échanges entre les peuples. Doit-on se satisfaire de ces performances ? Non, bien sûr. Malgré son efficacité redoutable, le transport maritime représente 3% des émissions à l’échelle mondiale, soit autant que l’aviation, et 16% à l’échelle européenne.

Les chargeurs veulent moins de carbone. La société veut moins de carbone ! Cela se traduit à la fois par un marché de l’affrètement de navires durables qui émerge, ainsi qu’un arsenal règlementaire qui se densifie au niveau européen et international.

Des solutions existent pour répondre à ces injonctions, mais de grands enjeux technologiques et systémiques se placent sur la route.

L’utilisation de carburant alternatif est déjà possible. Je parle de méthanol, d’ammoniac, d’hydrogène, voire de batteries. Mais comme pour la voiture électrique, qui est née il y a 200ans, l’adoption de nouveaux moyens de propulsion n’est pas liée qu’à la faisabilité technique à bord. Elle nécessite surtout une nouvelle infrastructure à l’échelle du système.

Il faut des filières de production, des hubs de soutage, des personnels formés. Dans le monde entier, avec les mêmes standards : un challenge de titan. Pour commencer, des corridors verts peuvent êtres ouverts entre les grands hubs, pour créer à la manière d’autoroutes ponctuées de super chargeurs, des axes de transport durable.

En complément de cet usage contemporain des navires sur nos routes maritimes, une autre solution est la limitation de l’usage des hubs de transbordement qui centralisent les flux avant de redistribuer vers d’autres ports. Cette pratique favorise les économies d’échelle mais implique parfois de rebrousser une partie du chemin et une perte de temps.

Aller directement à destination, avec un offre de capacité adaptée, permet aussi de faire évoluer le rythme des voyages, d’impliquer les populations locales qui peuvent intégrer l’équipage, de créer des liens avec le tissu de PME de la région. Cette solution peut être plus adaptée pour tout l’écosystème des ports secondaires.

 

Mais quel bénéfice si nous perdons l’économie d’échelle et que nous nous faisons reposer la charge du transport maritime sur des compagnies opérant de plus petits navires, avec moins de capacité d’investissement dans des énergies alternatives ? Et bien, j’ai deux réponses.

1- Nous avons gagné du temps (puisque la route est directe), et le temps c’est de l’argent.

2- Au-delà du service de transport, l’intégration du maritime dans l’écosystème local génère de la valeur.

Avec du temps et plus de valeur créée, on peut innover dans des navires plus efficaces, comme avec des systèmes de propulsion vélique nouvelle génération. En France, c’est ce que proposent Windcoop, Néoline, Vela, Alizé… ils n’ont pas choisi de décharger leurs marchandises à Rotterdam. Parce qu’il y a un marché et du potentiel ailleurs pour un business modèle disruptif.

Est-ce que le vélique est plus efficace ? Oui, bien sûr.

Il y a 100 designs d’ailes, de voiles, de kites, de rotors différents, pour toute une diversité de lignes maritimes, d’opérations, de navires aux problématiques particulières. Que ce soit en moyen de propulsion principal ou auxiliaire, le vent est gratuit et fiable (nous sommes en 2024, nous savons prédire le temps qu’il fera).

Nous avons la chance d’avoir un écosystème vélique particulièrement structuré et innovant en France. Tout comme une filière de l’hydrogène qui cultive ses compétences depuis des décennies.

Systèmes de protection de carène, de bulles pour lubrifier les œuvres vives, pare-brise pour favoriser la pénétration dans l’air des œuvres mortes, ajout ou retrait de bulbe pour créer la vague d’étrave optimale, injection de combustible par cylindre, additifs dans les combustibles, récupération de chaleur…

Une multitude de solutions matérielles, tangibles et rassurantes, qui continueront à mûrir ces prochaines années pour atteindre l’échelle nécessaire pour couvrir nos besoins.

L’immatériel est également un élément essentiel pour cette transition. La révolution environnementale du transport maritime ne peut pas se faire sans révolution digitale. 85% des navires dans le monde archivent leurs opérations… sur du papier. Or on ne peut pas gérer ce qu’on ne mesure pas.

À l’heure du Big data, où l’intelligence artificielle est nourrie par des trilliards de nos données personnelles, il est essentiel de déverser les données opérationnelles du maritime dans le monde numérique afin de bénéficier de la puissance des algorithmes.

Par le prisme de l’analyse, la donnée nous raconte déjà une histoire précieuse : la consommation de carburant peut ainsi être réduite de 15% sur certains navires, en améliorant leur profil opérationnel. C’est ce que l’entreprise française Opsealog, dont j’ai l’honneur de diriger le pole d’innovation, propose à ses clients dans 17 pays. Sans installer un seul système à bord, simplement en ajustant le comportement du navire après la lecture des déviations par rapport à un comportement idéal calculé pour une situation donnée, on peut commencer à réduire ces précieux premiers pourcentages.

15%, c’est un premier pas qui mérite d’être entrepris. Imaginez si nous y ajoutons la possibilité de comparaison et la prédiction de résultats de l’application technologies vertes. C’est un peu comme utiliser Les pages jaunes pour trouver facilement une adresse… et puis profiter bientôt du trajet optimal en fonction du trafic en temps réel sur Google Maps.

La transformation digitale est un élément essentiel à la décarbonation du monde maritime et de notre société en général.

D’autant que la valeur de la donnée s’accroît pour chaque partie prenante au fur et à mesure qu’elle est partagée et croisée avec d’autres sources d’information.

 

C’est la promesse d’un avenir positif économiquement et humainement, d’un impact global réduit, et d’un rapport plus conscient à l’océan.

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Pour résumer, voilà quelques éléments clés :

  • nous utilisons les carburants fossiles depuis seulement 2% du temps que l’humanité parcours les océans.
  • le maritime émet 13g de CO2 par tonne de marchandise transportée sur 1 km : il n’y a pas plus efficace, mais ce n’est pas suffisant.
  • nous avons l’opportunité de mettre en place des solutions à l’échelle du système, en incluant toutes les parties prenantes : industriels, logisticiens, chargeurs, affréteurs, armateurs…
  • nous avons l’opportunité de faire mûrir des solutions technologiques pour que le transport maritime soit un secteur pionnier dans le développement durable.
  • la transformation digitale du monde maritime est un élément essentiel à la décarbonation du mon maritime et de notre société en général.

Colomban MONNIER

 

 

 

 

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