Les années calendaires s’enchaînent moins vite que les gouvernements…. C’est ce que déplorent les armateurs par la voix d’Edouard LOUIS-DREYFUS, Président de l’association professionnelle Armateurs de France. Les crises se succèdent, les armateurs doivent avancer, décarboner, se moderniser mais avec l’épée de Damoclès du manque de stabilité politique les empêchant de se reposer sur un socle solide : taxe au tonnage, exonérations de charges, promotion du pavillon, autant de sujets qu’ Edouard LOUIS-DREYFUS nous présente avec force et convictions dans cette vidéo de son discours, suivi par l’intervention d’Olivier POIVRE d’ARVOR.

Discours d’Edouard LOUIS DREYFUS :
« Chers amis,
C’est un plaisir de vous retrouver ce soir pour la soirée annuelle d’Armateurs de France.
Ce rendez-vous est l’occasion de poser les jalons de notre avenir maritime, mais aussi de
mesurer tous ensemble les sujets qui nous ont animés depuis 1 an… depuis 1 an en
calendrier armateur… ou depuis 3 gouvernements en calendrier politique ! Au-delà de ce
clin d’œil, voyez surtout cher Philippe notre espoir de vous avoir toujours en face de nous
l’année prochaine. Tout d’abord parce que nos contacts dans vos précédentes fonctions
au Sénat nous ont montré combien vous compreniez et vous intéressiez à nos enjeux,
mais aussi parce que, pour une fois, cela ne ferait pas de mal à notre profession d’avoir 2
années de suite le même ministre en face de nous afin de pouvoir travailler sur la durée
et faire ensemble le bilan de nos enjeux.
L’année 2024 a été intense. Intense par l’ampleur des défis relevés, intense par
l’engagement sans relâche d’Armateurs de France pour défendre, représenter et
promouvoir notre secteur.
Parce que l’année a été intense et parce que, plus que jamais, il faut se tourner vers
l’avenir pour poser les jalons d’une ambition maritime assumée, Armateurs de France
dévoile ce soir une nouvelle identité graphique. Une identité renouvelée pour incarner et
symboliser, au travers de ces trois étraves bleu blanc rouge, l’unicité plurielle des
différents armateurs autour d’une activité bien singulière et leur engagement collectif
derrière le pavillon français.
Revenons à présent sur les faits marquants de l’année 2024.
Sur le plan économique et fiscal, tout d’abord, nous avons défendu avec force le
maintien de la taxe au tonnage, dispositif clé de notre compétitivité internationale.
Rappelons qu’au moment des élections législatives de juin dernier, la majorité des partis
appelaient à sa suppression. Grâce à un travail intense de pédagogie, la séquence
budgétaire 2025 s’est conclue par la préservation de ce régime fiscal. Parce que ce régime
ne fait que mettre la flotte marchande française au niveau de compétitivité de ses
concurrentes mondiales qui disposent toutes d’un tel système.
Mais restons lucides, le prochain exercice budgétaire sera, lui aussi, extrêmement
contraint. Le Gouvernement devra identifier de nouvelles sources de recettes sans
toucher aux impôts des Français. Si la taxe au tonnage est aujourd’hui préservée, elle doit
absolument être sanctuarisée sur le long terme pour permettre aux armateurs de
retrouver confiance dans le système et de reprendre leurs investissements de
développement et de décarbonation. Nous sommes ainsi toujours mobilisés, avec la
même rigueur, pour défendre cet outil absolument vital pour la marine marchande
française.
Vous le savez, le Projet de Loi de Finances pour la Sécurité Sociale a quant à lui débouché
sur la suppression des exonérations de charges patronales (dites « non ENIM ») pour la
majorité d’entre nous. Cette décision court-termiste, pourtant d’un enjeu financier
mineur à l’échelle du budget de notre pays, ne mesure par les effets sur le long terme en
mettant à risque la pérennité des emplois de marins français. Laissons à l’administration
américaine ce genre d’initiatives malheureuses ! Nous avons déjà engagé un travail de
sensibilisation et de mobilisation auprès des décideurs publics sur le sujet. Nous allons
accélérer ce travail dans les prochaines semaines. Nous y sommes prêts, armés d’une
étude d’impact réalisée par un cabinet d’études indépendant pour convaincre de la
nécessité de rétablir ce dispositif pour l’ensemble des entreprises de transport et de
service.
Sur le front environnemental, nous travaillons à l’élargissement du périmètre des
Certificats d’Economies d’Energie aux navires de commerce. Nous avons également pris
toute notre part aux négociations à l’OMI qui ont abouti la semaine dernière, comme vous
le savez, sur un accord absolument inédit mettant en place un mécanisme mondial de
tarification du carbone. Dans ce contexte, plus que jamais, nous continuons de pousser,
et continuerons de pousser pour que les revenus générés par le dispositif ETS de l’Union
Européenne soient fléchés pour financer la décarbonation de notre filière. Avec le GICAN
et l’Union des Ports de France, nous avons initié une dynamique de filière structurée,
convaincus que la transition énergétique maritime ne peut réussir que par une approche
concertée et collaborative. Nous présenterons dans moins d’un mois les leviers, les
efforts et les outils qui nous permettront d’effectuer une transition juste, ambitieuse et
compétitive pour faire de notre pays un leader de la flotte décarbonée.
Sur le volet social Face au dumping social, Armateurs de France continue de plaider
pour une vigilance accrue et des contrôles renforcés, seule garantie d’une concurrence
équitable. À cet égard, nous saluons le signal fort envoyé par le ministre des Transports –
merci cher Philippe ! – qui a annoncé quatre contrôles d’ici la fin de l’année, dont un déjà
réalisé.
Sur le front de la sécurité, je profite de cette prise de parole pour remercier – encore ! –
la Marine nationale, à travers le Vice-Amiral Slaars présent avec nous ce soir, pour son
engagement indéfectible à nos côtés. Je fais le vœu que ces remerciements ne
deviennent pas une habitude et que nous puissions rapidement ne plus devoir compter
sur notre Marine pour assurer la libre circulation de nos navires.
Le contexte international nous le rappelle brutalement. Les tensions géopolitiques
reviennent à des niveaux inédits. Le libre-échange est menacé. Les routes maritimes sont
à nouveau exposées, les équilibres stratégiques fragilisés. Plus que jamais, une marine
marchande forte est un levier de résilience, un outil de souveraineté.
Dans un monde où les logiques de repli et de fragmentation gagnent du terrain, le secteur
maritime incarne l’ouverture, la coopération, le lien entre les pays. Il ne cautionne pas le
protectionnisme. Pour la France, il constitue la clé de notre résilience et de notre
autonomie stratégique face à la résurgence des nationalismes économiques. Nous
constatons et subissons en ce moment même le sursaut du géant américain qui se
réveille douloureusement sans marine marchande ni industrie navale. Nous devons donc
assumer notre ambition maritime, et particulièrement dans 3 domaines.
Nous devons affirmer notre ambition économique. Nos armateurs, nos ports, nos
chantiers, nos équipages sont des actifs stratégiques. Ils garantissent notre
approvisionnement, soutiennent notre défense et contribuent à la résilience de notre
économie. Il est impératif que cette réalité soit pleinement reconnue plutôt que de devoir
lutter, budget après budget, pour maintenir la taxe au tonnage que le monde entier utilise
pourtant en face de nous.
Nous devons aussi porter une ambition industrielle et environnementale. La France a
tous les atouts pour devenir un leader de la marine marchande décarbonée. Nos
innovations en matière de carburants alternatifs ou de de propulsion vélique nous
placent à l’avant-garde. L’accueil, en juin prochain à Nice, de la Conférence des Nations
Unies sur l’Océan sera une occasion unique d’affirmer notre rôle moteur dans la
décarbonation du secteur maritime plutôt que de devoir lutter pour flécher nous aussi les
revenus des ETS vers cette décarbonation du secteur maritime, comme sont déjà en train
de le faire les autres pays européens.
Enfin, nous devons réaffirmer une ambition humaine. Une puissance maritime repose
sur ses marins, ses officiers formés, dotés compétences précises et précieuses. Nous
devons développer le pavillon français pour leur offrir des carrières attractives et valoriser
nos savoir-faire plutôt que de devoir lutter pour retrouver les exonérations de charges que
pratiquent l’ensemble des pays européens avec qui nous sommes en compétition.
La France possède la deuxième plus grande zone économique exclusive au monde. Cette
richesse nous impose des responsabilités. Il est temps que notre pays repense son
ambition maritime à la hauteur des défis internationaux et surtout l’assume.
En cette Année de la Mer, faisons en sorte que nos choix soient à la hauteur de nos
ambitions. Ensemble, accélérons et portons haut l’excellence et l’ambition maritime
française. »
Crédit photos : Sophie Benhamou