InterviewJeune Marine N°260

Interview de Jean-François DOUARD

Fondateur de DAMSIA

Jeune Marine vous présente cette semaine Jean-François DOUARD, C2NM promo 1993 à Saint Malo qui nous présente son entreprise, DAMSIA, qui a pour but de révolutionner le traitement des eaux mazouteuses : vaste problème très bien connu de tout officier mécanicien et casse-tête règlementaire et administratif peut-être en voie d’être résolu !

 

Jeune Marine : Bonjour Jean-François, vous êtes un ancien élève de l’ENMM de Saint-Malo, promo 1993 C2NM, pouvez-vous nous présenter votre parcours et ce qui vous a amené à créer votre société aujourd’hui ?

La vie maritime a été, pour moi, un long fleuve aussi tumultueux que passionnant. Je viens d’une famille de marins (pêche-commerce). Enfant, j’étais captivé par ces drôles de personnages, torses nus sous leurs bleus de chauffe qui remontaient d’un compartiment machine aussi étouffant qu’assourdissant.  Etudiant, j’ai préféré naviguer comme matelot à la pêche plutôt que de travailler au supermarché du coin. Et après un parcours universitaire aussi court que prodigieusement ennuyeux, j’ai intégré l’ENMM, et, un peu par hasard, les cours de C2NM. J’ai découvert une redoutable formation, autant par les sujets techniques qu’elle propose, que par la mixité des candidats (pro-académiques).

Je suis arrivé sur le marché au début des années 90. Le cycle habituel croissance-décroissance de la marine marchande française était à l’époque au plus bas. J’ai postulé à toutes les portes, sans réponse. J’ai intégré France Pélagique, où j’ai pu faire mes premières expériences et me forger aux contraintes opérationnelles.  J’ai ensuite rejoint Louis Dreyfus Armateurs comme mécanicien où j’ai eu le grand plaisir de participer à de nombreuses aventures techniques et humaines. J’ai accompagné les équipes de LDA dans la découverte de nouveaux métiers : ceux liés aux câbliers, aux supports de plongée, à la dépollution, mais j’ai aussi fait de nouvelles expériences : arrêts techniques, construction de navires, conversions, superintendance. Un programme très riche qui aiguillonne la curiosité et la résilience !

Malgré un vrai amour pour le métier de marin et un grand respect pour les compagnies maritimes pour lesquelles j’ai travaillé, j’ai débarqué pour travailler à terre. On n’a jamais fait le tour de la question, mais les champs d’investigation à terre sont vastes, et fatalement attirants.

L’ENMM et la navigation à bord de navires, pour peu qu’on s’y intéresse réellement, donnent une très solide formation technique et managériale qui est très appréciée par les entreprises. J’ai d’abord exercé dans le métier de la maintenance de navires pour le compte de tiers dans une société dont j’ai fini par être l’un des dirigeants. Je me suis ensuite écarté du maritime pour diriger des PME qui travaillent dans l’industrie aéronautique, chimique, mécanique, électronique. J’ai à chaque fois pu compter sur ma formation et mon expérience pour très vite m’adapter et comprendre les enjeux techniques de l’entreprise, des salariés mais surtout du client. Tout en cultivant la remise en question, et la fameuse stratégie du changement. Une phrase dont j’ai horreur : « On a toujours fait comme ça », phrase qui s’est longtemps appliquée aux séparateurs d’eaux mazouteuses.

Diriger une entreprise, c’est repousser très loin son horizon. Un dirigeant n’est limité que par ses idées et sa capacité à faire adhérer à son projet ses collaborateurs, ses clients, ses actionnaires, ses banquiers.

On se prend au jeu. Le goût de l’entreprenariat devient de plus en plus fort, tandis qu’on se sent de mieux en mieux armés. On a tous, à des âges différents, envie d’ajouter un peu de  sens et de valeur à ses projets.

Jeune Marine : Vous avez fondé récemment DAMSIA, pouvez-vous nous présenter cette entreprise et son but ?

J’ai créé DAMSIA en 2017, (Damsia, c’est une expression de ma grand-mère qu’on peut traduire par « Bien sûr que oui ») entreprise qui a pour vocation d’améliorer la trace environnementale des navires et d’améliorer le quotidien des marins et des armateurs. Un des premiers projets de DAMSIA est de travailler sur les séparateurs d’eaux mazouteuses. Traiter les eaux de cales, c’est traiter un risque environnemental, pénal et financier. C’est également limiter les coûts d’exploitation des navires : c’est autant d’argent qui peut être dépensé ailleurs !

Comme beaucoup d’entre nous, j’ai été confronté à l’innocuité des petites machines. J’étais consterné de voir à quel point les technologies à bord avançaient rapidement – il est difficile de comparer un système de propulsion ou de supervision des années 70 avec un système moderne. Tandis qu’on tente toujours, faute d’offre, de filtrer des eaux sales avec un bidon rempli d’éponges. Je sais que les marins font des merveilles et développent beaucoup d’intelligence et d’énergie pour faire le mieux.

Pour nous attaquer aux problèmes du traitement des eaux de cales, nous avons donc créé notre petite start up, basée à Plougastel Daoulas, dans la région brestoise. Nous avons effectué une levée de fonds auprès d’industriels et de family offices issus du monde maritime, qui ont montré une grande sensibilité au projet, et à l’environnement. Nous avons été subventionnés par la Région Bretagne. Nous sommes soutenus par la BPI, et le Technopole de Brest. J’en profite pour saluer ici le grand intérêt que portent mes interlocuteurs à notre projet, ainsi que leur motivation et leur engagement à nous aider.  J’invite tous les entrepreneurs en herbe à se rapprocher de ces entités.

Jeune Marine : Justement vous venez de présenter votre première machine de traitement des eaux, beaucoup de produits sont sur le marché : qu’est ce qui différencie le vôtre ?

Notre système est basé sur des idées simples :

  • Lorsque vous remplissez les registres hydrocarbures, vous vous apercevez parfois que vous perdez un peu d’eau de cales. A bien chercher, vous constaterez que certaines capacités en réchauffage ont le don de vaporiser quelques litres par jour. Plusieurs centaines lorsqu’on monte la consigne de température. Ce n’est pas immédiatement propre, il y a des entrainements de salissures qui s’accumulent au niveau des dégagements d’air. Mais cela améliore la gestion des eaux de cales.
  • Il est impossible de lister la totalité des polluants/produits contenus dans une eau de cale. On ne peut pas définir préalablement, ni la nature, ni la concentration. Il est plus simple de cibler l’eau (au sens H2O) parfaitement identifiée que de cibler les polluants innombrables. Chaque navire produit une eau de cale différente.
  • Les séparateurs coalescents sont dédiés à la séparation des hydrocarbures. La coalescence est le simple fait du regroupement de petites gouttes d’huiles en plus grosses dans une émulsion. En effet, dans une émulsion fine produite par cisaillement mécanique ou chimique (mélange de savon, agitation mécanique) lorsque les gouttes sont très petites, elles deviennent insensibles à la gravité. Les frottements liés à la viscosité du milieu ambiant s’opposent à la gravité.  On peut se figurer cet effet chez soi, en regardant les fines poussières dans un rai de soleil.
  • La coalescence est favorisée par le temps, le contact avec des surfaces, la diminution de la vitesse d’écoulement. Elle peut aussi être améliorée, mais ce n’est pas systématique par la température.
  • Certains hydrocarbures ne sont pas émulsionnés, mais dissous. Et, comme le sel dans l’eau de mer, ils ne se décantent pas.

Avec mon camarade Pierre-Yves Morin, nous avons breveté, développé et certifié 5 et 15ppm une machine que nous appelons OWE, (Oily water evaporator) qui utilise la distillation sous vide pour produire une eau cristalline à partir d’eaux de cale usuelles.

Cette distillation permet de vaporiser l’eau (H20) contenue dans l’effluent, puis de condenser cette vapeur d’eau et d’évacuer une eau déminéralisée/dépolluée via une vanne trois voies contrôlée par l’habituel capteur optique 15ppm.

La distillation sous vide agit sur un large spectre de polluant, répondant ainsi parfaitement à la technologie optique des contrôleurs hydrocarbures. Elle permet bien évidement de limiter le rejet des polluants, poussières et résidus non scrutés par la réglementation actuelle.

La distillation sous vide n’est pas un filtre, il n’y a pas de saturation. Et une eau qui n’aurait pas atteint le seuil des 15ppm peut simplement être redistillée en une double distillation, technologie bien connue sur certains produits agricoles.

Cette distillation sous vide est peu énergivore, puisqu’elle permet d’utiliser l’eau haute température de réfrigération des moteurs, ou d’installations exothermiques.

La distillation sous vide est le dernier traitement de notre OWE. L’OWE est équipé d’un étage primaire de décantation qui utilise le principe de la coalescence, afin d’éliminer les polluants « simples » par gravité.  Notre dispositif coalescent n’est pas d’une grande finesse. Il est donc très peu sensible à l’encrassement.

L’OWE c’est simple et redoutable. Celui qui ne croit pas dans l’idée n’a jamais fait de plat mijoté… les graisses restent au fond de la casserole et l’eau a disparu.

Jeune Marine : Les navires sont souvent équipés dès le neuvage de telles technologies, dédiez-vous cette installation au rétrofit ou démarchez-vous plutôt les chantiers de construction ?

Effectivement, suivant son emploi, et sa jauge (>400 Tx), un navire est équipé de séparateur d’eaux mazouteuses certifiés en 15ppm.

Nous visons autant le marché du neuf que le rétrofit. Nos premières commandes concernent d’ailleurs des conversions. Le coût d’installation sur un navire neuf est marginal. Il est plus important sur un rétrofit. Nous sommes donc heureux de voir que nos clients nous font confiance, et qu’ils poursuivent un engagement qui va bien au delà du simple Green Washing.

Jeune Marine : Votre structure est jeune et nombre de navires pourraient potentiellement être intéressés : quel volume d’unités pouvez-vous fournir et dans quels délais ?

C’est une excellente question à l’heure où les délais fournisseurs sont dérégulés. Certains fournisseurs nous annoncent des délais de 24 semaines pour des produits usuellement sur étagères.

Confiant dans l’accueil de nos produits par les clients, nous avons eu la prudence d’approvisionner les matériels pour un nombre important de machines. Dans le même temps, nous sommes autonomes sur la fabrication et l’assemblage. Mais avons développé un processus industriel et des partenariats locaux qui nous permettent de sous-traiter facilement et d’avaler les variations de charges, fréquentes dans l’industrie maritime. L’OWE est suffisamment simple pour être sous-traité.

Ceci étant dit, avec les infrastructures légères actuelles nous pouvons produire en propre 25 à 30 machines par an avec un délai usuel de 8 semaines.

Nous avons d’ores et déjà recruté pour renforcer l’atelier, et nous allons continuer. Nous recrutons aussi côté technique et commercial pour nous aider sur les projets clients. Nous investissons dans notre développement.

Jeune Marine : Les entrepreneurs sont rarement sans ressources, avez-vous un projet à venir pour compléter votre gamme ou une annonce prochaine exclusive ? Que pouvons-nous vous souhaiter ?

Il y a effectivement quelques projets dans les cartons. L’extension de la gamme viendra forcément. Nous avons un produit adapté aux navires de 50m à 300m. Nous nous focalisons pour le moment sur tout ce qui passe par une vanne de coque, même s’il n’apparait pas immédiatement comme polluant. Nous avons également noté un vif intérêt des petites PME qui rencontrent finalement les mêmes problématiques que les navigants.

Ces projets viendront en temps et en heure. Il ne faut pas oublier l’investissement que représente l’industrialisation d’une solution nouvelle.  Il nous faut maintenant nous concentrer sur notre marché, et goûter le plaisir de remonter sur les navires !

Quant aux souhaits, je suis satisfait, mes vœux s’exaucent chaque jour. Souhaitons par contre bon vent aux marins, aux navires. C’est un beau métier. Il est fragile et très sollicité. C’est une belle industrie, sous réserve qu’elle apporte plus qu’elle ne prend. Nous sommes beaucoup à y travailler.

Propos recueillis par Aymeric AVISSE.

 

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