InterviewJeune Marine N°272Ports

Rencontre avec Florian WEYER Directeur Général Délégué d’HAROPA PORT

Pour cloturer ce dossier spécial « Les ports : leurs activités et services » dans lequel vous avez pu découvrir toutes les prévisions de concours de pilotage, redécouvrir l’activité de remorquage portuaire avec le « Connaissez-vous vraiment les armements français ? » consacré à Boluda, et fait le point des activités et services proposés dans les ports pour et par les croisiéristes dans le « On se dit tout ! » avec Jean-François SUHAS, nous sommes allés à la rencontre d’une des personnalités les plus impliquées dans la transformation d’un GPM français : Florian WEYER. Au programme, Jeune Marine décortique tous les aspects de la mutation portuaire opérée au Havre dans cette interview consacrée aux nouvelles énergies, à l’augmentation du trafic conteneur, au report multimodal, à la reconversion de la centrale EdF, ou encore la gestion portuaire, tout y passe !

 

Aymeric AVISSE : Bonjour Florian WEYER, merci de recevoir la revue Jeune Marine, vous êtes actuellement Directeur Général Délégué d’HAROPA PORT, pouvez-vous nous présenter votre parcours et votre appétence pour le maritime et en particulier Le Havre ?

Florian WEYER : Si mon nom est d’origine alsacienne, je connais néanmoins la Normandie et la Seine. Ma carrière professionnelle commence en 2011 par trois années passées à Rouen en tant que chef du service en charge de l’entretien et de l’exploitation des routes nationales à la direction interdépartementale des Routes Nord-Ouest (DIRNO). En 2014, je suis nommé directeur des Transports au conseil régional d’Alsace avant de devenir directeur général adjoint en charge des mobilités au conseil régional du Grand Est. Au cours de ces cinq années, j’ai exercé des fonctions d’organisation des transports ferroviaires de voyageurs, de pilotage des projets d’infrastructure financés par la Région ainsi que de planification et coordination des mobilités à l’échelle régionale. En 2019, j’intègre le cabinet d’Élisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, en tant que conseiller Transports terrestres, avant de rejoindre Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre, chargé des Transports, qui me nomme directeur adjoint de cabinet en juillet 2020. Le 31 janvier 2022, je prends mes fonctions au sein du « Grand port fluvio-maritime de l’axe Seine » qui réunit en un établissement public les ports du Havre, de Rouen et de Paris. A ce titre, je suis nommé directeur général délégué en charge de la direction territoriale du Havre et membre du directoire de HAROPA PORT. Ici, je découvre véritablement le transport maritime, domaine que je trouve passionnant, au même titre que la composante industrielle et logistique du territoire.

Usine éolienne – JCV – HAROPA PORT – Le Havre ©JMEH-DR

Aymeric AVISSE : Concernant l’actualité, HAROPA PORT affiche une grande ambition : nouveaux quais dédiés aux activités éoliennes à Joannes COUVERT, fin de la construction des deux derniers quais à Port 2000, début de construction de la chatière, arrêt de la centrale EDF. Malgré tout, quand on se met dans la peau d’un acteur portuaire ou d’un client du port on pourrait peut-être déplorer un manque d’ambition apparent ?  

Florian WEYER : En janvier 2021, la France s’est dotée d’une nouvelle stratégie nationale portuaire avec pour objectif la reconquête de parts de marché. HAROPA PORT fait émerger un nouveau modèle, une innovation portuaire pensée pour créer un corridor industriel et logistique sans équivalent en Europe. Notre projet stratégique est bâti sur 4 piliers : le développement industriel et logistique, la transition numérique, la transition écologique et la multimodalité. Pour y répondre, l’État a doté HAROPA PORT d’une trajectoire d’investissement massive de 1,3 milliard d’euros sur la période 2020-2025.

Au Havre 750 M€ d’investissements sont prévus sur ce 1,3 milliard d’€. A fin 2023 nous avons réalisé 54 % du programme, avec la réalisation et l’aboutissement de 2 projets majeurs que sont les 2 derniers postes à quai de port 2000 et les aménagements pour accueillir la filière éolienne off-shore. Par ailleurs l’aménagement du terminal croisière ainsi que la mise en place de l’électrification à quai des paquebots ont commencé, les projets d’innovation numériques, de transition écologique, les aménagements destinés aux implantations logistiques et industrielles, ainsi qu’un ambitieux programme de modernisation du patrimoine (que ces soit sur nos ouvrages mobiles, nos écluses, nos moyens nautiques, nos digues et nos quais, nos bassins et plans d’eau,  nos hangars et bâtiments ou notre réseau routier et ferroviaire). Enfin, 2024 verra le démarrage des travaux de la chatière permettant le développement du trafic fluvial.

Nos résultats financiers sont bons et nous avons de nombreuses perspectives de développement. HAROPA PORT poursuit ses investissements en 2024 avec un budget initial de 201 M€ . Il comprend notamment deux grands projets au Havre : l’accès fluvial à Port 2000 appelé « chatière » et l’amélioration des dessertes de Port 2000 pour développer le mode ferroviaire. Ces travaux s’inscrivent en parallèle de l’investissement de 1 Md€ porté par TiL-MSC pour tripler son trafic à 4,5 millions d’EVP sur son terminal, ce qui démontre la confiance des grands armements dans le port du Havre. Nous inventons la logistique et l’industrie de demain : c’est une grande ambition, partagée avec l’ensemble des acteurs de la place portuaire !

 

Terminal multimodal – HAROPA PORT – Le Havre ©JMEH-DR

 

Aymeric AVISSE : MSC sera l’exploitant des nouveaux quais à Port 2000, ce qui va multiplier par trois leur nombre de boites et on ne peut que s’en réjouir, mais la question de l’intermodalité devient cruciale : Port 2000 était conçu initialement avec, comme élément stratégique, le dégagement fluvial via une écluse entre le fond de Port 2000 vers les quais de Bougainville. Cet ouvrage n’ayant pas été réalisé, l’intermodalité était quasi inexistante jusqu’à la construction du terminal multimodal, mais qui est tellement excentré de l’activité conteneur, qu’il peine à trouver son rythme de croisière. La chatière est-elle donc l’ultime possibilité pour rejoindre les quais à conteneurs maritimes à la Seine ? N’est-ce pas surévaluer la fiabilité des ouvrages portuaires comme François Ier ou l’ensemble des ponts qui seraient surexploités avec un trafic fluvial « normal » au regard des géants escalant à Port 2000 ? N’est-ce pas une goutte d’eau comparé aux 107km de canaux en construction reliant la région parisienne aux ports du Nord ?

Florian WEYER : La multimodalité est un enjeu stratégique pour la compétitivité du grand port fluvio-maritime de l’axe Seine, ainsi que pour la transition écologique des territoires grâce à l’utilisation de modes de transport plus durables. Le projet stratégique 2020-2025 de HAROPA PORT prévoit un objectif de part modale massifiée (fer et fleuve) des flux hinterland à hauteur de 20 % d’ici 2025. Et ce n’est qu’un début : notre objectif de long terme est de tendre vers les 50% déjà en vigueur dans les grands ports nord-européens. Pour accroître le développement du fret fluvial depuis / vers Le Havre, l’établissement porte un projet de construction d’un accès direct à Port 2000 pour tous types de bateaux fluviaux, appelé « chatière ». L’ouvrage consiste en un chenal fluvial d’une longueur de 1800 mètres, protégé par une digue, qui mettra en communication directe Port 2000 avec le bassin de la Seine, plus grand bassin d’emploi et de consommation de France.

L’enjeu est de favoriser l’accès des barges fluviales au plus près des navires en escale. Aujourd’hui, seules 10 % des barges sont capables d’y aborder en raison de la houle, pendant 70 jours de l’année seulement. Avec la chatière, ce sera 100%. Le projet permettra de développer la compétitivité de HAROPA PORT grâce à une offre fluviale efficace, fiable et concurrentielle. L’ensemble de nos infrastructures fluviales au sein du port, tout comme celles gérées par VNF sur la Seine, sont en capacité d’accueillir sans problème la croissance de trafic fluvial qu’engendrera la chatière.

Poste CIM – HAROPA PORT – Le Havre ©JMEH-DR

Aymeric AVISSE : Depuis les « trente glorieuses », le modèle économique du port du Havre repose sur le trafic d’hydrocarbures, et accessoirement l’accompagnement de la croissance du trafic conteneurs.  Les changements de paradigmes imposés par le dérèglement climatique et les différentes crises géopolitiques et sanitaires nécessitent une remise à plat de la stratégie portuaire. L’implantation d’une usine de construction d’éoliennes, le déploiement du branchement à quai, un nouveau terminal gazier sont des réalisations demandées par des clients ou par l’État. Au-delà de la gestion de l’espace foncier portuaire, quelle est la stratégie à long terme et la volonté du port pour changer de modèle ?

Florian WEYER : Dans un contexte de réindustrialisation, de transition énergétique, de raréfaction du foncier (objectif de « zéro artificialisation nette »), HAROPA PORT, se positionne comme un acteur clé de la réindustrialisation verte. Nous souhaitons favoriser un nouveau modèle de croissance, où l’industrie doit être innovante et compétitive mais aussi consciente des enjeux environnementaux actuels pour concilier développement économique et préservation de l’environnement. A titre d’exemple, fidèle à sa feuille de route, HAROPA PORT joue un rôle moteur dans le développement des nouveaux projets de décarbonation industrielle. L’axe Seine se positionne comme la vallée de “l’hydrogène vert”, des nouveaux carburants et de la chimie de demain. Des projets de grande envergure voient ainsi le jour sur le territoire de HAROPA PORT | Le Havre. Je pense par exemple à ENGIE, lauréat de l’appel à projets lancé en mars 2022, qui va développer la plus grande plateforme française de production de carburants renouvelables et bas carbone à échelle industrielle. Les deux usines prévues dans ce projet, Salamandre (biométhane) et KerEAUzen (e-kérosène et hydrogène), vont produire plus de 80 000 tonnes de carburants décarbonés pour les secteurs maritimes et aériens.

Avec ses partenaires locaux, HAROPA PORT est déjà pleinement mobilisé pour aider la France à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 au travers du consorium ECO2-Normandy qui vise à décliner un projet de captage de carbone en vue de sa réutilisation et de son stockage dans des sites d’enfouissement (CCUS). A terme, cette association industrielle permettra de réduire les émissions de CO2 du bassin jusqu’à 3 Mt par an, ce qui équivaut aux émissions de plus de 600 000 habitants.

Enfin, HAROPA PORT participe à la lutte contre le changement climatique et à la transition énergétique via notamment sa politique dynamique à travers l’électrification des quais maritimes et fluviaux, l’avitaillement des navires en gaz naturel liquéfié (GNL) ainsi que l’accompagnement d’installation d’énergies renouvelables, notamment l’éolien offshore. Concernés par la préservation de la biodiversité et la restauration des fonctionnalités écologiques, nous nous sommes dotés d’une stratégique environnementale à l’échelle de l’axe Seine, avec la réalisation d’un schéma directeur du patrimoine naturel.

Centrale EdF – HAROPA PORT – Le Havre ©JMEH-DR

Aymeric AVISSE : La place havraise bénéficie d’une situation idéale dans le cadre de l’industrialisation d’énergies alternatives aux hydrocarbures : tissu industriel dense, une énergie nucléaire décarbonée à proximité, un foncier disponible, un bassin d’emplois qualifiés, et des utilisateurs potentiels à proximité. En attendant l’arrivée de l’hydrogène, ne serait-il pas judicieux (opportun) de faire le choix d’une reconversion de la centrale EDF vers les énergies vertes, le biogaz par exemple ? Dans la négative, à quelles activités les terrains libérés par la centrale électrique sont-ils destinés ?

Florian WEYER : Le site de la centrale EDF et du terminal charbon occupe environ 40 hectares. Le processus de démantèlement, engagé depuis les derniers feux en mars 2021, est prévu de s’achever en 2033. Nous travaillons avec EDF à des mises à disposition progressives des terrains libérés, afin d’engager des appels à projets visant une reconversion du site. Dès la fin 2023, HAROPA PORT a engagé un appel à manifestation d’intérêt pour recueillir les ambitions des acteurs économiques sur cette zone. Notre objectif est de se nourrir des réponses apportées pour affiner nos premières réflexions sur les futures activités.

Pointe de Caux © Jeune Marine DR

Aymeric AVISSE : Nous avons eu la chance de visiter le Pointe de Caux du Groupe havrais SOGESTRAN (https://jeunemarine.fr/2023/09/visite-guidee-du-pointe-de-caux/ ), navire à la pointe des nouvelles énergies disponibles, mais paradoxalement qui est confronté à de gros problèmes de fournitures de ces nouvelles énergies (branchement à quai, carburants synthétiques, etc…) : il est fort compréhensible qu’il ne soit pas aisé d’accompagner systématiquement toutes les évolutions mais comment vous, au Havre, voyez-vous l’avenir dans la fourniture d’H2, de GNL, de Méthanol, d’Ammoniac ou de recharge électrique à quai ? Anticipez-vous d’ores et déjà des solutions identifiées ?

Florian WEYER : Notre rôle en tant qu’autorité portuaire consiste précisément à favoriser la disponibilité de toutes les énergies possibles. Au-delà de la disponibilité des molécules, HAROPA PORT travaille en amont avec les professionnels et les autorités publiques sur les conditions de soutage de ces nouveaux carburants. Nous cherchons à développer un mix de carburants disponibles, car le pétrole ne sera pas remplacé par un seul nouveau carburant. L’électrification des quais est également une nécessité pour supprimer toute émission de polluants à quai. Nous avons une bonne expérience pour les bateaux fluviaux et pour les navires de croisière. La prochaine étape sera l’électrification des terminaux de conteneurs.

Port de Sète © Port de Sète Sud de France DR

Aymeric AVISSE : La gestion des ports est une question récurrente qui cristallise beaucoup de vos confrères. Lors des Assises de l’Economie de la Mer de Lille, Xavier BERTRAND préconisait une gestion ou une cogestion avec les Régions, modèle qui fait merveille dans les ports du Nord de l’Europe et qui commence à faire ses preuves en région Occitanie à Sète notamment, pensez-vous également que ce modèle est à généraliser à l’ensemble des ports français ?

Florian WEYER : Il appartient au politique de répondre à cette question. En tant que premier port de France, nous nous employons au quotidien à répondre aux enjeux d’attractivité, de développement et de souveraineté à toutes les échelles : locale, régionale, nationale et internationale.

 

Aymeric AVISSE

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