Jeune Marine vous avait déjà présenté Sophie PANONACLE en 2019, alors Députée de Gironde et membre de la « Team Maritime », un groupe de parlementaires ayant pour objectif « de promouvoir une véritable politique de la mer pour la France, en interaction constante avec les acteurs maritimes publics comme privés ». Depuis cette époque son implication maritime s’est affirmée avec sa nomination à la Présidence du CNML (Conseil national de la mer et des littoraux) mais des sujets importants ont également émergé en raison de la crise sanitaire mais aussi de problèmes plus profonds et anciens qui se sont ravivés. Nous vous proposons de faire le point avec elle au travers de cette interview :
Aymeric AVISSE : Bonjour Madame PANONACLE, nous nous étions entretenus à l’automne 2019 sur vos projets et vos actions notamment avec la Team maritime et la création de la fête de la mer et des littoraux : où en êtes-vous sur ces sujets à cette heure ?
Sophie PANONACLE : « De l’eau a coulé sous les ponts » si j’ose dire … Mais nous avons tenu le cap.
La crise de la COVID-19 est venue bouleverser nos agendas, notre façon de travailler mais aussi l’urgence des sujets. Néanmoins j’ai tenu à ce que l’économie maritime garde toute sa place dans ce contexte inédit.
Durant les premiers mois de la crise de la COVID- 19, de mars à mai 2020, j’ai très largement sollicité les acteurs privés et publics de l’économie bleue pour contribuer au rapport « Happy Blue Days » remis dès juin 2020. Le Président de la République, le Premier ministre et les ministres les plus directement concernés en ont été destinataires.
Ce rapport a servi, je le pense sincèrement, à alimenter à tous les niveaux de responsabilité la reconnaissance et la relance de notre destin maritime.
En juillet 2020, Annick Girardin a été nommée Ministre de la Mer. La création du Ministère de la mer, après plusieurs décennies d’absence, traduit l’engagement du Président de la République d’accélérer la stratégie maritime de la France. C’était pour moi une immense satisfaction.
Par ailleurs, j’ai souhaité que la Team Maritime s’élargisse et s’ouvre à tous les députés littoraux de la majorité présidentielle. De nouveaux membres nous ont rejoints ; nous formons désormais un équipage de 23 députés. Durant la crise sanitaire, nous avons continué de nous réunir en visioconférence. Avec les députés de la Team, nous avons porté des actions communes, notamment en demandant une vaccination prioritaire pour les marins et les sauveteurs en mer.
Dès septembre 2021, nous avons poursuivi notre travail dans l’optique d’écouter, de comprendre et d’échanger avec les acteurs du maritime. Ces échanges sont importants pour alimenter notre travail législatif mais aussi pour mieux comprendre les problématiques, les projets, et l’ébullition qui émane de la communauté maritime, tournée aujourd’hui vers une démarche réellement plus respectueuse de l’environnement.
Concernant la Fête de la Mer et des Littoraux, nous avons souhaité organiser la 2ème édition en juillet 2020 en dépit du contexte sanitaire. Il était important que les citoyens, « les mériens », se retrouvent, après le confinement, autour de cette fête porteuse de sens. Les membres du comité de pilotage sont restés à nos côtés et nous avons bénéficié d’un large soutien des ministères. Annick Girardin, pour sa première visite officielle, est venue sur le Bassin d’Arcachon inaugurer cette 2ème édition.
La troisième édition s’est tenue du 8 au 11 juillet 2021. Nous avons recensé plus de 500 événements sur le littoral de l’Hexagone et des Outre-mer. De nouveaux partenaires sont venus compléter notre comité de pilotage : France Bleu et France 3, les fédérations sportives de voile, de randonnées pédestres, d’Etudes et de Sports Sous-Marins, de Ski Nautique et de Wakeboard, mais aussi avec l’Association Nationale Handi-Surf. Cette arrivée des fédérations a donné une belle dimension sportive à cette édition.
Dans ce contexte, la Ministre des Sports, Roxana Maracineanu nous a fait l’honneur de venir sur le Bassin d’Arcachon durant la troisième édition de la Fête.
Nous sommes en préparation de la nouvelle édition qui se déroulera du 7 au 10 juillet 2022. Notre objectif est de labelliser 1000 événements.
Aymeric AVISSE : Vous avez remis au Président MACRON en juin 2020 votre rapport « Happy Blue Days » : il ne nous a pas échappé que le Fontenoy semble être le moyen de mise en œuvre de ce rapport, quel est votre regard sur la suite ?
Sophie PANONACLE : La crise sanitaire a frappé chaque filière de l’économie de la mer avec une extrême brutalité. Toutes les entreprises et leurs salariés ont été sévèrement affectés. Le constat est sans appel. Nous avons dû en tirer les leçons et tracer une nouvelle voie qui préserve nos océans et contribue au développement harmonieux de l’économie bleue tout en accélérant notre stratégie maritime.
Le rapport « Happy Blue Days » présentait 150 mesures pour une économie compétitive et décarbonnée ».
Il est le résultat d’une large concertation nationale de la communauté maritime, organisée à mon initiative, pour servir de guide à la construction de l’avenir durable de l’économie bleue.
Les consultations lancées dans le cadre du Fontenoy du maritime ont permis de concrétiser cette première démarche et d’aboutir à des mesures importantes annoncées en 2021 lors des Assises de l’économie de la Mer par le Président de la République, que nous connaissons :
- Extension pour 3 ans de plus de l’exonération des charges salariales ;
- Simplification du suramortissement vert qui ouvre la transition énergétique des navires ;
- Doublement du nombre d’officiers qui sortent de formation à l’ENSM d’ici 2027 ;
- Création d’une spécialité maritime au sein de Pôle emploi afin d’améliorer le placement des « gens de mer » et le suivi de leur parcours de carrière ;
- Renforcement du système d’inspection du travail maritime ;
- Organisation en 2022 d’un colloque sur le dumping social maritime.
C’est un premier pas, d’autres mesures sont attendues d’ici la fin du quinquennat.
Néanmoins, le Fontenoy n’est pas la seule initiative en la matière.
Nous pouvons aussi saluer la volonté exprimée par le Président de la République, lors du Congrès mondial de la nature à Marseille en septembre dernier, d’organiser le « One Ocean Summit, prévu en février prochain à Brest.
De même, je suis fière d’avoir porté à l’Assemblée nationale, aux côtés de mes collègues Jimmy Pahun (député du Finistère) et Maina Sage (députée de la Polynésie française) la Proposition de résolution pour la Conservation et l’utilisation durable de l’Océan. Cette mobilisation est nécessaire pour conclure, en mars prochain, le Traité onusien du BBNJ visant à la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, autrement dit en Haute mer.
La suite, je la vois nécessairement dans un 2ème tome de la loi sur l’Economie bleue que je souhaiterais porter lors du prochain quinquennat.
Aymeric AVISSE : Votre activité liée au maritime est de plus en dense avec notamment votre nomination à la présidence du CNML, instance extrêmement appréciée pour ses intentions et ses propositions, mais depuis quelques mois l’activité (en tout cas médiatique) semble bien au ralenti : avez-vous des nouvelles à nous annoncer ?
Sophie PANOCALE : Après plusieurs mois de mise en sommeil du CNML, j’ai été élue Présidente de son bureau le 29 mars dernier.
Depuis, avec les membres du bureau, nous essayons de redynamiser cette instance afin qu’elle retrouve sa vocation originelle d’organe de concertation nationale unique, de dialogue et de réflexion stratégique pour les politiques relatives à la mer et aux littoraux sur l’Hexagone et les Outre-mer.
7 mois se sont écoulés où nous avons avec beaucoup d’enthousiasme, je le crois sincèrement, rempli au mieux notre mission.
6 réunions du bureau et un webinaire sur les sujets ultra-marins ont été organisés.
Nous avons constitué des groupes de travail chargés d’étudier différents thèmes : Europe, pêche de loisirs, cétacés, financement de l’érosion côtière, problématiques maritimes spécifiques aux Outre-mer. Les recommandations formulées à l’issue de ces travaux ont été présentées lors de la de réunion plénière du CNML, le 2 décembre dernier, devant la Ministre la Mer.
Par ailleurs, notre bureau a dû répondre à plusieurs sollicitations dans des temps très courts. Nous avons formulé des avis concernant :
- les orientations stratégiques du futur contrat d’objectifs et de performance (COP) de l’Office français de la biodiversité (OFB) ;
- les documents stratégiques de façade (DSF).
Nous nous sommes intéressés également aux travaux de révision de la stratégie Biodiversité et au plan de relance tourisme.
Aussi, en qualité de Présidente du bureau du CNML, j’ai rejoint le Conseil National de l’Eau et le Conseil de l’Ordre du Mérite Maritime.
Malgré notre engagement soutenu, je partage avec les membres de l’instance le constat que le CNML manque de visibilité. Je suis convaincue que son bon fonctionnement requiert des moyens humains et financiers plus importants afin d’améliorer sa performance tant au niveau de la communication interne que de la communication externe. Le dynamisme et la crédibilité du CNML passe aussi par là.
Aymeric AVISSE : Avant de vous consacrer au maritime vous êtes d’abord Députée de Gironde, comment combinez-vous les sujets sectoriels avec les problématiques locales même si certains, comme le recul du trait de côte, s’inscrivent totalement dans vos deux compétences ?
Sophie PANONACLE : La problématique du recul du trait de côte est un sujet sur lequel je me suis particulièrement investie depuis le début de mon mandat, d’abord avec l’écriture d’une proposition de loi, puis par le biais du travail législatif que j’ai mené dans le cadre de la loi « Climat et Résilience ».
Cette loi a débouché sur la création d’outils essentiels, au service des communes, pour la gestion du recul du trait de côte sur nos territoires littoraux, dont nous devons encore assurer le financement.
J’ai présenté, dans le cadre du PLF 2022, un amendement visant à créer une taxe additionnelle au Droits de Mutation à Titre Onéreux (DMTO). Cet amendement, qui devait financer les projets d’adaptation des territoires littoraux au dérèglement climatique, a été rejeté par le gouvernement.
Je pense que c’est pourtant la bonne solution qui fait appel à une solidarité nationale. Ce n’est que partie remise.
Dans la continuité de cet engagement, j’ai souhaité travailler sur les problématiques de submersion marine et d’inondations qui concernent directement le Bassin d’Arcachon. Le recul du trait de côte est particulièrement visible sur ma circonscription.
J’ai récemment rendu un rapport pour avis concernant les crédits de la Mission « Ecologie, développement et mobilités durables » du Projet de loi de finances 2022. Ce rapport porte sur le programme 181 : Prévention des risques naturels, technologiques, industriels, nucléaires ou miniers.
Ainsi, les parlementaires sont ancrés dans leur territoire. Leur rôle est de relayer les enjeux locaux à l’Assemblée nationale.
Aymeric AVISSE : Le monde maritime semble aujourd’hui être un peu plus entendu, quels sont vos objectifs actuellement pour le maritime dans son ensemble mais plus précisément pour l’emploi et la formation des marins français ?
Sophie PANONACLE : L’avenir du maritime passe par la création d’emploi dans une logique de développement durable.
Aussi, concernant l’emploi et la formation des marins, j’ai formulé une vingtaine de propositions issues du colloque national pour l’emploi maritime que j’ai organisé le 8 octobre 2020.
Dans le contexte économique et social que nous connaissons, il est nécessaire d’améliorer le recrutement, la formation initiale et la formation continue dans les filières maritimes. Pour ce faire, nous devons rendre les métiers de la mer plus attractifs et plus accessibles en sensibilisant les jeunes dès le collège. La diversité des métiers de la mer est aujourd’hui trop peu connue.
Cela passe aussi par une plus grande féminisation des filières maritimes.
Les formations dispensées doivent s’adapter à la transformation des métiers, notamment liés au numérique et à la transition écologique.
Un accompagnement spécifique doit être mis en place dans les territoires ultra-marins, afin de faciliter et d’encourager l’installation de centres de formation.
Enfin, nous devons anticiper la reconversion professionnelle dans les secteurs à forte pénibilité.
Je vous invite à retrouver l’ensemble des propositions formulées sur : https://www.document-en-ligne.fr/sophie-panonacle/actes-du-colloque/
Résoudre les problèmes d’emploi de l’économie de la mer est la clef de la réussite de l’ambition maritime de notre pays.
Dans cette optique, je me réjouis qu’Annick Girardin organise les 9 et 10 février à la Rochelle dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union Européenne, un colloque dédié aux questions sociales (emploi, formation) du secteur maritime.