InterviewJeune Marine N°263

Jean-Philippe CASANOVA : un marin Délégué Général d’Armateurs de France

Le monde maritime français est souvent critiqué pour son administration qui ne compte pas de marins dans ses rangs, mais ce constat est de moins en moins vrai ! Nous avons eu la chance de nous entretenir avec Jean-Philippe CASANOVA, C1NM promo 1990, qui après une carrière au pilotage de Marseille s’est dirigé à Paris pour présider la FFPM et aujourd’hui rejoindre Armateurs de France, succédant à Jean-Marc LACAVE, Hervé THOMAS et Eric BANEL :

Jean-Marc LACAVE et Jean-Philippe CASANOVA aux Assises de l’Economie de la mer de Nice en septembre 2021 © AdF DR

Jeune Marine : Bonjour Jean-Philippe CASANOVA, nous nous croisons régulièrement lors d’évènements maritimes nationaux depuis quelques années, et pour cause, vous avez pris la présidence de la Fédération Française des Pilotes Maritimes (FFPM) en 2015 pour aujourd’hui accéder au poste de Délégué Général de l’organisation professionnelle Armateurs de France (AdF). Vous êtes de la promo C1NM de 1990, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Jean-Philippe CASANOVA : Bonjour Aymeric, en effet, j’ai été président de la FFPM de 2015 jusqu’en juillet 2021 avant d’accéder au poste de Délégué général d’Armateurs de France.

J’ai intégré l’Hydro en 1990 et j’ai été breveté C1NM en 2000.  

J’ai effectué l’essentiel de ma navigation sur des car-ferries et des navires de type ropax, ainsi que sur des porte-conteneurs et des remorqueurs portuaires avant de devenir pilote de la station de pilotage de Marseille/Fos en décembre 2001. J’ai par la suite été en charge du système de management de la qualité de la Fédération Française des Pilotes Maritimes de 2006 à 2012, avant d’en être élu Secrétaire Général en 2012. J’ai exercé cette fonction jusqu’à ma nomination à la présidence de la fédération en 2015.

Je suis, par ailleurs, Senior Vice-Président de l’International Maritime Pilot’s Association, ce dont je suis très fier et j’ai eu l’opportunité d’occuper le poste de Vice-Président de l’European Maritime Pilot’s association pendant 4 ans. Je suis également administrateur de l’ENSM et membre du Conseil Supérieur de la Marine Marchande. Enfin, je participe très régulièrement aux sessions de l’Organisation Maritime Internationale en tant que conseiller de la délégation française.

Mon implication dans la communauté maritime est donc pleine et entière, la mer étant une véritable passion pour moi.

Jeune Marine : De mémoire il me semble que c’est la première fois que ce poste est confié à un marin : est-ce une évolution naturelle après la présidence de la FFPM ou une réelle volonté de maritimiser la fonction ? Quels sont vos objectifs et qu’ambitionnez-vous d’apporter à AdF et aux officiers français ?

Jean-Philippe CASANOVA en stage survie © DR

JPC : Il s’agit bien d’une première dans la longue histoire d’AdF, créée en 1903. Deux marins sont à la barre de l’organisation puisque le président, Jean-Emmanuel Sauvée, est lui aussi un ancien élève de l’École Nationale de la Marine Marchande (aujourd’hui ENSM).

En ce qui me concerne, c’est un immense honneur de rejoindre aujourd’hui la grande famille des armateurs français ! Mes différentes expériences m’ont déjà donné l’opportunité de travailler en étroite collaboration avec eux ainsi qu’avec les experts d’Armateurs de France puisque dans le cadre de ma présidence à la FFPM, j’ai siégé au sein du Comité Exécutif de l’organisation. Je suis également en contact depuis de nombreuses années avec les acteurs publics et privés de tout l’écosystème maritime, un atout considérable pour relever mes nouveaux défis.  

Mes ambitions sont nombreuses, et mes objectifs aussi variés que les enjeux actuels du secteur du shipping : stratégies géopolitiques, impacts environnementaux, économiques et sociaux, sans oublier les questions relatives à la sécurité. Il convient de rappeler, en outre, que les armateurs français sont présents sur de multiples segments d’activité : transports de marchandises, de passagers, activités offshore, pose de câbles sous-marins, approvisionnement de sables marins, océanographie, recherche sous-marine, assistance, sauvetage et services portuaires… Ils sont au cœur de l’économie bleue et, par conséquent, des acteurs clés des économies nationale et mondiale. Dans le cadre de mes fonctions, je déploierai toute l’énergie nécessaire aux côtés des experts d’Armateurs de France et de ses adhérents pour favoriser le développement de la flotte française, un atout stratégique pour notre pays…

Jean-Philippe CASANOVA en stage survie © Vincent BACCELLI DR

Jeune Marine : Aujourd’hui les armateurs peinent à recruter, c’est pourquoi a été annoncé le doublement du nombre d’élèves à l’ENSM lors des Assises de l’Economie de la Mer en septembre 2021. Mais cela va demander du temps, donc, comment envisagez-vous vos actions pour endiguer les départs et continuer à armer les navires français ?

JPC : Il me semble que la fonction d’officier ne souffre pas particulièrement d’attractivité. Bien au contraire, les attraits sont nombreux : rémunération, congés, responsabilité, autonomie, voyages … Les compagnies mettent, par ailleurs, un point d’honneur à favoriser et développer le dialogue social afin d’améliorer les conditions de vie de leurs salariés. La problématique actuelle ne réside pas dans la fidélisation des officiers qui quitteraient les armements, mais dans le fait que de nombreux navires entrent ou entreront prochainement en flotte, et qu’il est impératif de pouvoir les armer. Aussi, il est urgent que les armateurs puissent bénéficier de marins français formés à l’ENSM, avec toutes les spécificités et les exigences que revêt la formation maritime française. C’est parce qu’Armateurs de France privilégie l’emploi français que l’augmentation des effectifs de l’ENSM est tant souhaitée !

En parallèle au travail commun initié avec l’école, nous tentons d’accroître le nombre d’officiers français en menant une réflexion approfondie sur la promotion sociale avec les partenaires sociaux et en collaborant avec la Marine nationale pour faciliter les passerelles avec la Marine marchande.

Jeune Marine : De nombreux armateurs font des efforts financiers pour essayer de conserver leurs talents, mais la situation sanitaire et les conditions à l’embarquement et débarquement continuent d’accroitre les départs : réfléchissez-vous à mettre en place en concertation européenne ou internationale, des mesures ponctuelles ou plus pérennes pour permettre la libre circulation future des marins (quelle que soit la crise à venir) et leur permettre de vivre leur métier sans quarantaines ?

© Franck DUNOUAU

JPC  : J’aimerais rappeler sur ce point que les armateurs français se battent contre vents et marées, depuis le début de la crise sanitaire, pour embarquer et débarquer les marins dans les meilleures conditions possibles : négociations diplomatiques, organisations de vols aériens, plateformes de relèves, généralisation des tests de dépistage….  Ils ont travaillé de concert avec les équipes du RIF (Registre International Français) qui, elles non plus, n’ont pas ménagé leur peine et ont permis à 15 400 marins de transiter sur le territoire français, peu importe leur nationalité ou celle de leur navire. Je ne peux que les remercier de nouveau !  

Dans ce contexte, nous nous sommes battus pour que soit accordé aux marins le statut de travailleurs clés. La France a été un des premiers pays à reconnaître cette qualité aux gens de mer et nous pouvons nous en féliciter. Cependant, nos activités étant par nature internationales, la route est encore longue…

Armateurs de France a aussi répondu à l’appel mondial sous forme de manifeste appelé « Déclaration de Neptune sur le bien-être des marins et les relèves d’équipage ». Signée par plus de 800 organisations, cette dernière vise quatre actions principales : reconnaître les marins comme travailleurs clés et leur donner un accès prioritaire aux vaccins, établir des protocoles sanitaires de références basés sur les meilleures pratiques existantes, améliorer la communication entre les exploitants de navires et les affréteurs pour prévenir l’exacerbation des difficultés, et assurer la connectivité entre les principaux hubs de relève.

Que ce soit au niveau de l’International Chamber of Shipping ou au niveau de l’European Community Shipowners Association pour la mise en place de hubs portuaires européens par exemple, les concertations ont été et demeurent nombreuses. 

Armateurs de France reste bien évidemment ouverte à toute forme de concertation européenne ou internationale pour favoriser la circulation des navigants. Il en va de l’intérêt des armements mais surtout du bien-être des marins qui demeure prioritaire.  

Jeune Marine : Durant le One Ocean Summit, se tenait en parallèle le Colloque de La Rochelle sur le thème du dumping social qui lui est passé assez inaperçu : pouvez-vous nous résumer les souhaits de vos adhérents pour les officiers français ?

JPC  : Le colloque a été accueilli très favorablement par Armateurs de France parce qu’il répondait, pour partie, aux alertes lancées par les compagnies sur la concurrence européenne et internationale lors du Fontenoy du maritime.

Les attentes des armateurs au niveau social sont tout d’abord de limiter le dumping social extra et intra-européen pour garantir une concurrence équitable et loyale entre les pavillons. La convergence européenne en matière sociale est de plus perçue comme un gage de compétitivité pour l’emploi. Les armateurs considèrent également impératif d’édicter des principes clés en matière de normes sociales au niveau européen et de prévoir une meilleure coordination entre États sur les contrôles des normes sociales.

Enfin, harmoniser les référentiels européens de formation nous semble pertinent puisque cette démarche permettrait de favoriser une meilleure mobilité des marins.

Débarquement de Jean-Philippe CASANOVA par pilotine port de Marseille-Fos © Armateurs de France DR

Jeune Marine : Le quinquennat s’est terminé avec un sentiment que le maritime est enfin entendu, avec la création d’un ministère de la Mer et l’ouverture d’un « Fontenoy du Maritime », néanmoins de nombreux sujets comme la fin programmée des régimes spéciaux (pour les marins Colbert créa en 1673 le « Fonds des invalides de la Marine »), le netwage ou encore les registres internationaux dans les eaux françaises : autant de sujets en suspens qui sont des freins terribles pour les officiers souhaitant s’ « engager » dans un avenir maritime, que peut apporter Armateurs de France comme réponses pour les rassurer sur l’avenir de leur métier ?

JPC : Armateurs de France a fait part de sa grande satisfaction lors de la création du ministère de la Mer et lors du lancement du Fontenoy du Maritime, même si ce dernier n’est pas encore abouti, et nécessite un suivi pour certaines de ses mesures.

Le netwage ne doit pas être perçu comme un frein pour les officiers. Le dispositif d’aide aux employeurs de marins embarqués a été mis en place afin de maintenir l’activité d’armements qui ont été fortement éprouvés lors de la crise sanitaire et sauvegarder l’emploi des salariés en poste.

Pour ce qui est des registres internationaux, le RIF a été mis en place initialement pour accroître la compétitivité des armements français. Ce registre n’exclut pas l’embauche de marins français. Les compagnies au RIF sont d’ailleurs très demandeuses d’officiers français, il ne s’agit donc en aucun cas d’un frein. Le secteur maritime est l’un des seuls à pouvoir se targuer du plein emploi.

Enfin, concernant la réforme des retraites et la fin des régimes spéciaux, Armateurs de France défend le maintien de l’ENIM, institution historique pour les marins et œuvrera pour que certaines particularités soient maintenues dans les échanges qui auront lieu. Nous préservons au mieux les intérêts des marins et des armements.

Les jeunes officiers ont donc tout intérêt à s’engager dans le secteur maritime, un secteur d’avenir et qui offre de belles perspectives d’évolution.

 

Propos recueillis par Aymeric AVISSE

 

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