Les armements se suivent mais ne se ressemblent jamais ! Nous redécouvrons dans ce nouveau volet de notre série “Connaissez-vous vraiment les armements français ?” la compagnie Brittany Ferries, qui vient de fêter ses 50 ans et qui a toujours fait de son modèle social un atout que tout le monde lui envie : le 7/7 ! Ils nous détaillent tous les secrets de leur longévité et nous présentent tout ce qu’ils peuvent vous proposer dans cette interview exclusive de Vincent PINEL à bord d’un de leurs navires en escale au Havre :
Aymeric AVISSE : Bonjour Vincent, nous voici aujourd’hui au Havre à la passerelle de l’ARMORIQUE pour notre nouveau volet de notre série « Connaissez-vous vraiment les armements français ? » consacré aujourd’hui à la Brittany Ferries dont tu es le Capitaine d’Armement. La Brittany Ferries est un armement emblématique mais également atypique avec une très belle et très lingue histoire commencée en 1972 grâce à Alexis GOURVENNEC. Peux-tu rappeler cette formidable success story ?
Vincent PINEL : La Brittany Ferries a été créée par la volonté d’un agriculteur visionnaire, Alexis GOURVENNEC, dans le but de désenclaver la région Bretagne, et comme j’ai tendance à dire, la compagnie est née dans un choux, mais vraiment au sens propre du terme.
Aymeric AVISSE : Tu nous parles d’un agriculteur mais le but était bien de faire transiter les légumes vers le Royaume-Uni ?
Vincent PINEL : Le but était d’exporter la production légumière bretonne, de la SICA de Saint-Pol-de- Léon, via le trajet le plus simple de l’époque : ROSCOFF-PLYMOUTH.
Aymeric AVISSE : Il faut rappeler qu’à l’époque, pour faire transiter les légumes, il fallait impérativement passer par le détroit.
Vincent PINEL : Tout à fait, à l’époque les infrastructures routières étaient très peu développées, tout comme les infrastructures de télécommunications, et Alexis GOURVENNEC, dans un réel élan visionnaire a lancé l’idée qu’en Bretagne il nous fallait un port en eaux profondes, des infrastructures routières, une université de Bretagne (l’UBO de Brest) et des moyens de télécommunications. On peut constater qu’aujourd’hui, 50 ans après, tout est en place.
Aymeric AVISSE : Totalement, car il faut se rappeler de cette époque où Roscoff était un petit port de pêche à marées, donc il fallait un port pouvant accueillir des navires de commerce mais également tous les équipages et les infrastructures pour faire fonctionner une telle entreprise.
Vincent PINEL : Effectivement, il a fallu faire sortir un port en eaux profondes du port de pèche de Roscoff, pour accueillir des navires transbordeurs roulier à passagers, des ROPAX, avec notamment une rampe pour charger les camions fret dans les navires.
Aymeric AVISSE : Tu nous parles de ROPAX, mais au départ l’entreprise était plus orientée fret, puis vous avez accueilli des passagers, peux-tu nous détailler cette évolution ?
Vincent PINEL : Au départ seul le KERISNEL était exploité, nous venons justement de fêter les 50 ans de la traversée inaugurale, qui a eu lieu le 2 janvier 1973. A l’origine l’entreprise ne transportait que du fret (la production légumière du Léon), et dès 1974, voyant les axes de potentiel développement, on a commencé à transporter des passagers à destination de la France mais également de l’Angleterre.
Aymeric AVISSE : Le modèle a connu son apogée dans les années 90 avec le NORMANDIE, le BRETAGNE, il proposait même plus de la mini-croisière, pour arriver aujourd’hui à un modèle plus mature dans le sens où vous perpétuez la prestation Passagers, mais avec des volumes fret très importants : le modèle est enfin défini ?
Vincent PINEL : On arrive sur un modèle qui est abouti, l’activité fret représente environ 20% de l’activité totale de l’entreprise, avec des navires et des lignes qui sont plus ou moins spécialisés : à titre d’exemple la ligne du Havre, reprise en 2013, est plutôt typée fret comme celle de Cherbourg, la ligne de Caen-Ouistreham est plus tôt mixte, et plus on va sur les ports de l’ouest plus l’activité est orientée passagers pour arriver aux lignes desservant l’Espagne qui sont très majoritairement dédiées aux passagers. Nous avons également un axe de développement qui est une ligne créée dès les débuts de Brittany Ferries, la ligne d’Irlande, que nous sommes en train de renforcer en termes d’activité fret.
Aymeric AVISSE : Tu nous parlais des destinations, on rappelle que Brittany Ferries est positionnée au départ du Havre, Caen-Ouistreham, Cherbourg, Saint-Malo et Roscoff, à destination de Portsmouth, Poole, Plymouth, Cork, Santander et Bilbao : donc aujourd’hui vous faites toujours du transmanche mais pas que, en desservant également l’Irlande et l’Espagne.
Vincent PINEL : Nous avons également Roselare comme nouvelle destination, et sommes aujourd’hui très présents sur tout l’arc européen ouest-atlantique.
Aymeric AVISSE : Les légumes voyagent bien !
Vincent PINEL : Les légumes font quelques traversées par an !!
Aymeric AVISSE : Sur les 15/20 dernières années, les compagnies de transbordeurs à passagers françaises, je pense au détroit, je pense à la desserte de la Corse, ont connu de vrais chamboulements soit par des rachats soit par un modèle social mis à mal, mais Brittany Ferries, elle, a systématiquement maintenu le cap malgré la plus grosse tempête qu’elle a connue, à savoir la combinaison du Brexit et de la pandémie : où en est on aujourd’hui de la reprise d’activité post Brexit/pandémie ?
Vincent PINEL : La reprise est là, vraiment, nous sortons de deux années très difficiles avec de très grosses tempêtes à passer avec la combinaison du Brexit et du COVID, on pensait avoir tout vu avec le Brexit et est arrivé le COVID, on a donc vécu deux années compliquées à gérer où on a dû revenir aux basiques de l’entreprise à savoir le transport de marchandises et de biens de première nécessité. Aujourd’hui l’entreprise est de retour, avec des volumes passagers proches de notre année de 2019, ce qui fait qu’on s’en est sorti et qu’on garde nos clients fidèles ; cela montre que le produit Brittany Ferries, la prestation commerciale que l’on vend, c’est une expérience à part, c’est bien plus que du ferry, c’est une invitation au voyage entre l’Angleterre, l’Irlande vers l’Espagne.
Aymeric AVISSE : Tu parles de l’attachement de votre clientèle à votre modèle, mais il n’y a pas que votre clientèle qui est attachée à votre modèle, il y a également vos officiers : Brittany Ferries est très connue dans le panel des armements français pour avoir initié le rythme de rotation de 7 jours à bord et 7 jours de repos, avec en plus des congés, totalisant 156 jours de travail embarqué. Ce rythme est une formidable opportunité pour la stabilité personnelle mais apporte également un gain de productivité. Peux-tu nous détailler ce fonctionnement ?
Vincent PINEL : Le 7/7 a été créé il y a environ 40 ans, il offre un véritable rapport qualité de vie, j’aime beaucoup ce terme-là car il fait sens. Concernant l’activité à bord, les navigants embarquent pour 7 jours suivis de 7 jours à terre, complétés d’un taux d’acquisition de congés de 1,33, soit 1,33 jour de repos/congés par jour embarqué, permettant de poser 3 périodes de 3 semaines de congés par an, soit 156 jours de travail par an. Concernant l’organisation à bord, les semaines sont d’environ 70h de travail.
Aymeric AVISSE : Dans ce modèle, vous avez toujours eu la culture d’apporter la formation, la connaissance, à vos équipes. Vous avez en conséquence très majoritairement embauché des officiers au niveau lieutenant ou officier mécanicien pour les faire évoluer ensuite : qu’en est-il aujourd’hui ?
Vincent PINEL : On constate un très fort attachement de nos officiers à l’entreprise, ce qui fait que la plupart du temps nous avons des carrières complètes au sein de la compagnie. Ça commence très tôt en qualité de jeune officier, nous avons cela dans notre ADN, de pouvoir former les jeunes et de les amener aux plus hautes fonctions dans la compagnie, que ce soit à bord ou à terre, puisque notre directeur de la flotte actuel est un ancien navigant.
Aymeric AVISSE : Vous proposez donc d’embaucher au niveau lieutenant/officier mécanicien mais lors des promotions futures vous pouvez bifurquer vers la qualité, le technique, les constructions neuves ou la formation ?
Vincent PINEL : Les ferries sont d’une incroyable complexité, on va y retrouver tous les équipements qu’on nous présente à l’ENSM : pour le pont, on va retrouver le chenalage, le routage, la performance énergétique du navire ; pour la partie technique nous avons tous les équipements hôteliers avec les chambres froides, la partie restauration/cuisine…
Aymeric AVISSE : Car en plus des officiers mécaniciens vous avez à bord de vos navires des officiers extérieurs en charge de tous les équipements techniques extérieurs à la machine, pour la partie cuisine, emménagements, hôtellerie, garage, donc en charge des équipements en lien avec l’hydraulique, la frigo, l’aérolique, etc…
Vincent PINEL : Exactement, sans oublier évidemment la partie propulsion, mais aussi une fonction que l’on retrouve sur d’autres compagnies : l’officier sécurité, qui aura en charge la navigation, l’entretien et la maintenance des installations de sécurité du navire.
Aymeric AVISSE : C’est un très beau panel ! Qui plus est, vos navires sont modernes, équipés de scrubbers ou d’installations au gaz, peut-être bientôt de l’hybridation ?
Vincent PINEL : La compétence gaz est effectivement quelque chose qu’on a commencé à acquérir en 2019 en développant en interne, au sein de notre centre de formation, un module spécifique gaz et avancé. On a profité d’une contrainte règlementaire, qui est la certification de nos équipages, pour en faire un atout dans la formation de nos officiers. Aujourd’hui quand nos officiers viennent se former dans notre centre de formation, sur la partie spécifique GNL, ils apprennent sur NOS équipements qu’ils retrouveront à bord. On veut vraiment sur nos formations profiter de cette contrainte pour en faire un vrai atout dans la conduite et l’exploitation de nos navires.
Aymeric AVISSE : Donc pas besoin d’être obligatoirement certifiés, vous vous chargez de les former ?
Vincent PINEL : Donc aujourd’hui il y a une partie qui s’acquiert avec l’ENSM mais dès qu’ils arrivent, on formera nos officiers sur la partie GNL mais on aura également, dans le cadre de la mise en service d’un navire, comme pour le SANTONIA, des compléments de formation notamment accompagnés par des motoristes et les fournisseurs du navire pour parfaire la formation de nos officiers sur des machines qui deviennent de plus en plus pointues en termes de conduite du navire.
Aymeric AVISSE : Tu nous parles de la formation gaz, mais Brittany Ferries a été pionnière dans ce domaine, avec un centre de formation doté de compétences beaucoup plus larges que le gaz.
Vincent PINEL : Brittany Ferries possède un centre de formation « maison » qui est ma fierté personnelle mais aussi celle de l’entreprise : ce centre de formation a aujourd’hui un peu plus de 20 ans, nous avions profité d’une contrainte règlementaire pour en faire un atout pour la formation de nos équipages. Ce centre de formation est aujourd’hui exploité avec des navigants de l’entreprise, son responsable est un ancien commandant de chez nous, nous avons 10 officiers instructeurs qui se succèdent, ce sont des officiers qui naviguent, qui exercent au sein de Brittany Ferries et qui viennent faire des missions au centre de formation pour des sessions de formations de base à la sécurité, formation sécurité navires à passagers, formation gestion de crises, en somme tous les aspects « transports navires à passagers » directement chez nous dans notre centre de formation. L’équipe est également constituée de deux permanents, une assistante et un officier.
Aymeric AVISSE : On retiendra donc une très belle structure de formation qui permet un éventail de formations et une réalisation en interne.
Vincent PINEL : C’est un vraiment un très bel outil de formation, qui nous est envié par de nombreuses compagnies, et c’est aussi notre laboratoire en matière de sécurité : on y développe tout un tas d’idées, pour la gestion d’une situation d’urgence à bord, pour la gestion des équipes incendie embarquées ; on les met en œuvre puis on peut les tester lors de formations de revalidations quinquennales de base ou avancées, et ensuite, si ça fonctionne, on va le déployer au sein de notre flotte : les officiers qui passeront au centre de formation retrouveront les mêmes process sur l’ensemble de nos navires.
Aymeric AVISSE : Parmi ce que vous proposez aux officiers, vous avez également une filière météo, avec laquelle vous apportez des compétences météorologiques pour essayer de gagner en termes de consommation sur les trajectoires tout en contournant les zones les plus défavorables.
Vincent PINEL : C’est une technologie issue de la course au large, avec un système de routage météo dédié, qui a pour double objectif de réduire la consommation de carburant des navires d’un point de vue économique mais aussi environnemental. Pour ce faire, nous avons un officier instructeur compagnie qui est le référent pour ses collègues et qui les forme à l’utilisation de ce logiciel. On rentre toutes les caractéristiques du navire avec le nombre de moteurs, les vitesses aux différentes allures, etc… le logiciel va recevoir les données météo et les données de courant ; avec toutes ces données, l’officier devra gérer la performance de son navire et trouver les bons moments pour redémarrer ses moteurs, avec des gains pouvant atteindre 5 à 6 tonnes par traversée, ce qui est très significatif.
Aymeric AVISSE : Si on résume un peu, vous embauchez au niveau lieutenant quelle que soit la formation (polyvalent ou monovalent), vous apportez les compétences, et vous apportez également de la vision, dans le sens où on peut évoluer à bord, entre 5 et 8 ans pour l’accession à la fonction supérieure ?
Vincent PINEL : C’est cela, entre 5 et 8 ans ; avant COVID c’était plutôt 5 ans, on pense toujours chez Brittany Ferries qu’il faut du temps pour accéder aux fonctions supérieures, et avant COVID nous étions en pleine expansion de flotte ce qui explique les 5 ans ; aujourd’hui, nous sortons de cette période compliquée, nous allons rentrer en flotte un dixième bateau, tous sous pavillon français premier registre, ce qui est significatif et induit des besoins de promotion. Aussi devrions-nous retrouver un âge moyen de promotion aux alentours de 35 ans. Parallèlement nous sommes en train de mettre en place un dispositif d’accession à la fonction supérieure sur les postes de seconds, chefs et commandants-adjoints et commandants.
Aymeric AVISSE : En somme vous instaurez un accompagnement tout au long de la carrière et réaffirmez par là votre besoin et votre volonté d’accompagner l’officier tout au long de sa carrière.
Vincent PINEL : Effectivement ce nouveau mode de fonctionnement est là pour faire des points d’étapes dans le déroulement de carrière des officiers pour les accompagner dans leur développement et, je le rappelle, avec des officiers très attachés à l’entreprise avec des carrières complètes de lieutenant à commandants/chefs : aujourd’hui des compagnies de cette taille offrant cette possibilité, elles ne sont pas légion ! Avec en plus la possibilité pour plusieurs d’entre eux d’évoluer sur un poste à terre avec un mode de recrutement assez classique sur le centre de formation, le technique, le QSES mais aussi via des missions à la direction ingénieurie et maintenance en tant qu’ingénieur d’armement. On offre toute la palette possible d’évolutions, que ce soit à bord dans une carrière de navigant ou à terre dans des postes à l’armement.
Aymeric AVISSE : Je crois que le message est passé, vous offrez plus qu’un emploi : vous offrez une carrière pour des jeunes, parfois un peu moins jeunes avec de l’expérience, mais qui pourraient se retrouver dans votre modèle. On peut vous retrouver assez facilement sur votre site internet, ou sur LinkedIn que je vous invite évidemment à consulter !
Merci Vincent de nous avoir consacré un peu de temps, et j’espère à bientôt !
Brittany Ferries :
https://www.brittany-ferries.fr/
Linkedin Brittany Ferries :
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