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Interview « Points de vue » : François LAMBERT rencontre Guillaume BROUSSEL

Jeune Marine vous propose un tout nouveau format inédit avec son interview « Points de vue » opposant François LAMBERT, Directeur Général de l’ENSM et Guillaume BROUSSEL, C1NM promo 1996 Chef Mécanicien à bord des navires Brittany Ferries.

L’interview de près d’une heure et demie est enregistrée en une seule prise, sans découpage, sans langue de bois, afin d’aborder tous les sujets qui dérangent : au programme diplomation ingénieur, recrutement des nouveaux candidats sur Parcoursup, parité, violences sexuelles et sexisme.

Pour les plus pressés nous vous avons extrait et retranscrit  les meilleurs moments :

 

Guillaume BROUSSEL : ENSM « deux écoles mieux que quatre ! »

Guillaume BROUSSEL : Dans les années début 2000, déjà on entendait parler dans les Hydros du fait de réduire l’ENMM sur 2 sites. Personnellement, comme beaucoup d’ailleurs, je trouvais que c’était une très bonne idée pour plusieurs raisons : la première est que les sites commençaient à être obsolètes, il ne faut pas se le cacher. Marseille devenait lugubre, les salles de classes, avec les débuts de l’informatique, n’étaient pas adaptées (c’était déjà compliqué avec un rétroprojecteur !), les promos n’étaient que de 90 élèves avec 120 élèves par site, aussi quand l’idée est arrivée et qu’on a entendu dire qu’il n’y aurait peut-être plus que 2 sites, les Bretons, les Nantais pouvaient avoir de la nostalgie mais d’un autre côté on instaurait une mutualisation qui était perçue comme bonne, pour l’école (on se disait qu’on allait avoir peut-être des bâtiments neufs ? ), pour les TP (on est beaucoup à avoir râlé car on recevait un enseignement sur des équipements qu’on ne retrouvait plus à bord comme le LORAN C ou le Gonio). Aussi, en ayant uniquement 2 sites on espérait avoir de plus grands moyens et peut-être des intervenants (ce qui était très rare à l’époque) du Lloyd, de chez Alpha Laval, ou autres, avoir des moyens pour les salles de TP, et aussi des bâtiments neufs mais peut-être moins grands. Alors c’est vrai que les Bretons et les Nantais râlaient un peu mais à un moment il faut aussi faire un choix, et je pense qu’il est plus important de faire un choix sur le bien-être des élèves que sur des volontés politiques locales, voilà mon point de vue.

 

François LAMBERT : ENSM « Des campus cohérents »

François LAMBERT : Si vous vous baladez sur le Havre, tout ce qu’il y a autour, je parle du réseau d’enseignement supérieur, n’existait pas : Sciences Po n’était pas construite, la capacité de rayonnement nous donne une perspective de capacité de rayonnement de l’ENSM ; c’est vrai pour Le Havre, ce sera vrai demain pour Saint-Malo et Nantes avec les deux déménagements, et ce sera également vrai pour Marseille avec le projet TANGRAM mais avec aussi d’autres projets à l’échelle de l’écosystème marseillais. Moi j’y vois une chance car demain ce sont autant de possibilités pour les élèves des ENSM de s’investir dans des projets de recherche, c’est la possibilité de travailler en collaboration étroite avec Centrale dans la recherche, c’est la possibilité aussi de travailler avec le lycée maritime de Saint-Malo de manière beaucoup plus approfondie et de mutualiser les connaissances. La nostalgie, le caractère affectif qu’il y a derrière chaque officier de la Marine Marchande, est certainement une des difficultés les plus lourdes dans ma tâche car il est difficile d’y apporter des réponses concrètes : on essaie cependant de le dépasser par ce caractère « ensemblier » qu’on provoque dans le cadre d’un document stratégique qui est le Contrat d’Objectifs et de Performance, qui doit être le dénominateur commun pour l’ensemble des marins qui ont été formés et qui seront formés à l’ENSM.

 

Guillaume BROUSSEL : Parcoursup

Aymeric AVISSE : Pour résumer un peu les échanges, au-delà de la demande ou de la nécessité de supprimer ce diplôme d’ingénieur, ce qui n’est pas forcément le besoin, car même si tu (NDLR : tu = Guillaume BROUSSEL) ne te ressens pas aujourd’hui ingénieur, les gens s’accordent quand même à dire que la multiplicité des capacités et des savoirs qu’on acquiert à l’Hydro est de l’ordre de la  formation ingénieur. S’il fallait le catégoriser à un niveau, celui-là est pertinent ; sauf qu’aujourd’hui un autre sujet nous préoccupe, à savoir la manière dont on accède à cette formation : précédemment, nous étions sur une sélection par concours, l’école est dorénavant ouverte à la sélection nationale Parcoursup, qui sur le fond, lors de sa mise en place, permettait d’ouvrir la sélection à des profils qui n’y auraient pas forcément pensé, voire déclenché des envies. Et aujourd’hui on se rend plutôt compte que les candidats se seraient inscrits plus pour la diplômation d’ingénieur que pour naviguer. Comme l’exprimait Guillaume VIDIL, ce qui sclérose un peu la situation c’est que les armements et les armateurs ont besoin de navigants, de personnels qui souhaitent naviguer, mais surtout qui souhaitent naviguer longtemps ! Pas uniquement le temps nécessaire à valider un diplôme d’ingénieur. Cette nouvelle manière de rentrer à l’école est-elle pertinente ? Qu’en penses-tu Guillaume ?

Guillaume BROUSSEL : Je vais être clair, quand tu m’as proposé le sujet de Parcoursup je me suis dit « j’y connais rien à Parcoursup », c’est uniquement un sujet que j’entends dans les médias ; aussi j’ai pris mon téléphone et j’ai appelé des copains  qui malheureusement ont des filles qui n’avaient pas choisi de faire la Marine Marchande, et m’ont tous dit unanimement « Guillaume tu as tort, ParcourSup ça peut être bien pour l’Hydro » : ils m’ont donné un exemple avec l’école du Louvre avec des étapes dans l’élaboration du dossier :

1/ Tu rentres toutes les notes de seconde, première et terminale. 

2/ Tu rédiges une lettre de motivation.

3/ Tu présentes tes dessins (généralement la filière est destinée à des filières d’art avec option dessin) et books que tu as déjà faits.

 Une fois renseigné, ça te donne le droit de passer le concours, et pour finir, l’entretien ! Je pense en fin de compte qu’on devrait peut-être changer notre façon de recruter, de choisir les candidats, de mieux regarder dans les terres de motivations lors des entretiens, pour mieux sélectionner les jeunes sur leur volonté de naviguer et leur souhait de diplômation ingénieur, voire réinstaurer un petit concours.

 

François LAMBERT : Parcoursup

François LAMBERT : Comment recruter sur Parcoursup des candidats pour la filière polyvalente ? Effectivement, j’essaie d’amplifier ce mode opératoire dans le cadre du Conseil des études et de responsabiliser un peu plus les populations. Je vois une jeunesse très impliquée, très ambitieuse, qui veut aller plus vite sur le changement climatique, très bien je n’ai aucun problème avec ça ! Mais je trouve qu’il faut les responsabiliser : à 17/18 ans en sortie de terminale, ils décident de trouver un métier dans lequel ils vont s’épanouir. La marine marchande les intéresse ? Formidable ! Ecrivez-le moi, faites-moi une lettre de motivation ! Dans cette lettre de motivation qui sera la première étape de sélection, je vais voir si le candidat est vraiment motivé ; je ne suis pas dupe non plus, j’ai été étudiant, les lettres de motivation ne sont pas forcément écrites par les candidats, mais s’ils se font aider c’est très bien ! Et ensuite à l’oral on verra quelle est la nature de leur motivation et on la confrontera avec leur dossier et la capacité qu’ils ont à défendre leur projet. Responsabiliser cette génération pour savoir si elle est vraiment motivée, je pense que c’est une des clés. Ensuite, remettre un concours après ce niveau-là, le volume à ce stade ne le justifie pas, mais l’idée que vous nous donnez là est intéressante, ne serait-ce que sur une grille thématique qu’on devrait être capables de demander : un jeune qui ne sait pas vectoriser, ça m’inquiète ; en revanche quelqu’un qui ne connaît pas les règles de barre au bout de son premier trimestre à l’école, je pense que c’est à peu près normal…. L’école est là pour ça ! Il faut donc vérifier la capacité à générer des officiers par la vérification du savoir des fondamentaux, la motivation (et ça, ça ne peut pas être n°1 l’ENSM pour être sûr d’avoir le Louvre en n°2 !), et enfin la capacité du candidat à se projeter dans ce monde-là avec toutes ses contraintes et avec une génération qui s’engage : j’étais en compagnie de Jean-Marc JANCOVICI hier soir, cette prise de conscience qu’on a sur le changement climatique et sur l’incapacité qu’on a à préserver le monde tel qu’il est si on ne change pas nos habitudes, je crois que les jeunes aujourd’hui le comprennent beaucoup plus facilement, charge à nous de repérer ces jeunes-là et d’en faire un actif pour la marine marchande ; on va donc s’employer à cela dans le cadre de ces recrutements et faire de cette crise de Parcoursup une opportunité.

 

François LAMBERT : Violences sexuelles et sexisme

François LAMBERT : Un plan très ambitieux a été acté en début d’année par mes prédécesseurs sur la lutte des violences sexuelles et sexistes : c’est un sujet qui NOUS concerne, et dans ce cadre nous affichons une ambition qui est maximale : il ne s’agit pas de revenir sur les champs de marins et les traditions qui peuvent exister au sein de l’école, mais de les encadrer un minimum pour faire en sorte qu’on ne soit pas sur une vision de la marine du 19ème siècle ou avant ça, mais qu’on soit plutôt vers une marine moderne dans laquelle les femmes ont leur rôle à jouer et leur place : à ce titre nous avons des formations qui sont dispensées par différentes structures extérieures ; nous sommes en train de trouver d’autres solutions suite à quelques difficultés avec les formations dispensées à Nantes et Saint-Malo, étant bien entendu que le militantisme n’a aucune place dans la sphère pédagogique. Il ne s’agit pas de victimiser qui que ce soit mais bien de donner aujourd’hui le cap d’une marine marchande qui évolue : on ne peut pas tolérer les actes sexistes et répréhensibles : il n’y pas d’excuse ou de solidarité qui tienne, ce n’est pas possible ! En revanche, nous, on doit participer à cette sensibilisation forte : ces formations sont donc indispensables sous une sphère pédagogique et non militante.

 

Guillaume BROUSSEL : Violences sexuelles et sexisme

Aymeric AVISSE : Alors tu parlais justement de femmes qui arrêtaient certainement plus tôt ; nous avons avec Guillaume des contre-exemples dans notre propre entourage, nous avons beaucoup d’exemples de personnes différentes qui, au-delà de la maternité, sont toujours embarquées ; savoir qu’il nous sera possible au sein d’un armement de pouvoir bénéficier d’un an ou deux de césure pour rester à la maison, qu’on soit un homme ou une femme pour une paternité ou une maternité, ne serait-ce pas un dispositif qui pourrait ouvrir le champ des possibles notamment pour naviguer plus longtemps ?

Guillaume BROUSSEL : Quand tu m’as présenté le sujet, tu m’as parlé de parité. On a effectivement entendu ce terme dans les Hydros, à bord ou sur LinkedIn. Mais alors moi le terme parité m’évoque une entrée dans les quotas, et ça c’est quelque chose que je ne conçois pas…. On ne peut pas dire il y aura tant de filles et tant de gars, non ! Ce qu’on veut, c’est donner leur chance aux filles, mais cela, je suis désolé de le dire, mais on l’a toujours fait dans les Hydros : les filles ont toujours eu la chance de pouvoir y entrer sous concours à l’époque, il n’y avait aucun distingo en filles et garçons seuls les meilleurs rentraient. Ensuite ? On peut dire ce qu’on veut, mais dans la marine marchande, comme tu le disais Aymeric, les salaires sont fixés, on ne peut donc pas isoler une personne puisqu’on travaille tous au même endroit, aussi de ce côté-là, cette égalité, puisque je préfère mettre en avant l’égalité, elle existe. Par contre, là où il y a un souci et il faut également le reconnaître, c’est le sexisme qui existe malheureusement encore et ce côté « graveleux » qui déplaît aux femmes, ce côté machiste parfois, je le vois à bord avec deux beaux exemples embarqués sur les navires Brittany Ferries : c’est Christelle et Julie, respectivement Commandant et Chef mécanicien,  je les ai contactées sachant que je venais ici pour en débattre ; et Christelle m’a dit « Que les femmes viennent ! Je les y encourage, il faut qu’elles viennent ! La preuve, j’ai bien réussi, mais il faut qu’elles soient conscientes qu’il y aura des moments difficiles et il faudra que les remarques et commentaires sexistes leur glissent dessus ». Christelle me partageait qu’en ce qui la concerne, elle interpelle les auteurs de ces réflexions et leur fait savoir que ça ne se fait pas. Christelle a un fort caractère et au fil du temps elle a accepté ces remarques, et elle précise que maintenant elle est commandant ; mais en tant que chef de quart ou élève, c’est plus compliqué et c’est là que nous, dans les nouvelles générations certainement moins bourrues que les anciennes qui sont désormais parties, et même si moi les femmes à bord ça me fait un peu peur (je rigole !), avec le recul, on se dit ouuuaahhh c’est énorme !

 

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La rédaction de Jeune Marine

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