Jeune Marine N°269Vidéos à la UneVie à bord

Visite guidée du Pointe de Caux

Entretien avec Patrice LE GOUALHER

Bienvenue dans ce nouveau volet du dossier d’été consacré à la transition énergétique. Nous avons déjà parlé de recyclage plastique, de biocarburants, de propulsion vélique, de supertanker de l’électricité, qui constituent des impératifs opérationnels pour les armements qui se doivent d’innover tout en s’adaptant à leurs contraintes. Pour cela SOGESTRAN Shipping nous présente aujourd’hui son tout nouveau navire de charge transporteur de produits pétroliers hybride sous pavillon français : le Pointe de Caux. Navire moderne à la pointe des technologies actuelles, nous allons suivre pour cette visite Patrice LE GOUALHER, le Commandant de ce navire atypique.

Patrice LE GOUALHER – Cdt du Pointe de Caux © Jeune Marine DR

 

Aymeric AVISSE : Bonjour Patrice LE GOUALHER, nous voici donc à la passerelle du Pointe de Caux pour une visite, et parler de ce tout nouveau navire entré en flotte il y a moins d’un an pour le groupe SOGESTRAN, et qui est le tout premier navire de charge hybride français. Aussi, avant de découvrir ce beau navire, on va peut-être parler un peu de toi : quel est ton parcours, ta promotion et comment es-tu arrivé aujourd’hui commandant de ce tout nouveau bateau ?

Patrice LE GOUALHER : Bonjour Aymeric, bienvenue à bord ! Je suis à l’origine de formation officier chef de quart machine; entré à Saint-Malo en 2005, j’ai commencé comme officier mécanicien, officier chef de quart passerelle, et quelques années après, j’ai rejoint la 5ème année dont je suis sorti avec mon diplôme d’études supérieures de la marine marchande en 2014.

Aymeric AVISSE : Donc derniers brevets qui ont été émis par l’ENSM. Et après 2014 ?

Patrice LE GOUALHER : Ensuite j’ai navigué sur des navires type sismiques et câbliers, puis sur des pétro-chimiquiers; j’ai fait un passage à l’offshore après ma 5ème année et j’ai rejoint le groupe SOGESTRAN en 2018.

Aymeric AVISSE : Tu as rejoint SOGESTRAN à quel poste ?

Patrice LE GOUALHER : En tant que second capitaine sur un avitailleur aux Canaries, puis sur un pétro-chimiquier de 9000 tonnes.

Aymeric AVISSE : SOGESTRAN est spécialisé sur les marchés de niches, ce navire a un aspect atypique : peux-tu nous le décrire et nous expliquer pourquoi ce bateau ?

Pointe de Caux © Jeune Marine DR

 

Patrice LE GOUALHER : le cœur de métier de SOGESTRAN c’est d’aller se positionner sur des marchés de niche ; ici le challenge était de faire un navire pour avitailler principalement l’usine TOTAL-Fluides située sur le canal le Tancarville, donc on a construit un « Tancarville-max » de 110m de long  par 14 m de large et 4,85 m de tirant d’eau, un port en lourd max de 4700 tonnes, avec la contrainte de tirant d’air du pont de l’A29. C’est le seul navire maritime aujourd’hui,  je pense au moins en Europe, capable de venir ici, car tous les autres navires s’arrêtent avant, à Orcher. Le pont de l’A29 nous a imposé un tirant d’air de 10 m donc voilà le pourquoi du Pointe de Caux, avec cette silhouette particulière.

Aymeric AVISSE : En plus vous avez profité de cette construction neuve pour être un peu avant-gardiste sur la propulsion et sur les émissions de CO2 ; ce navire est donc hybride : comment ça marche ?

Patrice LE GOUALHER : En effet, dans le projet il y avait cette volonté de faire un navire plus vertueux dans l’environnement qui réduisait sa consommation par rapport à un navire conventionnel, le Pointe de Caux décharge principalement ici, on charge en zone ARA (Anvers-Rotterdam-Amsterdam), donc on a choisi l’hybridation par batterie principalement, avec production électrique pour deux raisons : pour cette fluidité d’utiliser une énergie à la demande,  d’ajuster la charge des moteurs pour la manœuvre mais aussi pour la manœuvre sur le canal de Tancarville : ici et on doit culer sur 1.4 mille pour passer ce pont aussi nous avions besoin d’un navire très manoeuvrant. L’hybridation choisie est donc constituée de trois groupes électrogènes utilisés au maximum de leur de leur charge nominale et des batteries pour absorber les appels de puissance et également utilisées pour les manœuvres, notamment pour le propulseur d’étrave.

Aymeric AVISSE : Donc en fait le but est de maintenir les groupes électrogènes à leur meilleur rendement et la variation de puissance de puissance est absorbée par les batteries.

Patrice LE GOUALHER : Voilà, ça c’est l’hybridation principale du navire, qui nous permet aujourd’hui une consommation de l’ordre de 5 tonnes/jour : pour un navire de 5.000 tonnes c’est remarquable !

Aymeric AVISSE : Quelle serait la consommation d’un navire similaire sans cette hybridation ?

Patrice LE GOUALHER : On serait facilement à 8 voire 9 tonnes par jour !

Aymeric AVISSE : Donc on est au-delà des 30% voire plutôt 40% de réduction de la consommation.

Racks de batteries Pointe de Caux ©Jeune Marine DR

Patrice LE GOUALHER : En plus de ce choix d’avoir mis les batteries (en fait ce sont 6 armoires de batteries qui comportent en tout 84 batteries), en complément nous sommes équipés du shore-power (branchement à quai) qui nous donne la possibilité de nous connecter sur le courant de terre et d’effectuer nos opérations de chargement/déchargement puisque sur un pétro-chimiquier on a une consommation énergétique plus importante lors des opérations commerciales avec les pompes et le gaz inerte : l’installation shore-power est dimensionnée pour cela.

Aymeric AVISSE : Avec ce shore-power vous pouvez également recharger les batteries de propulsion ?

Patrice LE GOUALHER : Tout à fait, sauf qu’aujourd’hui nous, nous sommes  prêts, mais c’est encore à l’étude dans les différents terminaux, on en est encore au début….

Côté groupes électrogènes, nous sommes pourvus de moteurs IMO Tier, ce sont des moteurs avec injection d’AD-blue, qui a pour fonction de nettoyer les fumées des NOx et également des panneaux solaires, qui sont situés sur le dessus de la passerelle, et qui nous permettent d’alimenter tous les équipements passerelle.

Pointe de Caux © Jeune Marine DR

Aymeric AVISSE : On est bien d’accord, ce sont des réseaux différents, les panneaux solaires ne viennent pas recharger les batteries de propulsion ?

Patrice LE GOUALHER : Ce sont effectivement des batteries à part, on a l’interface derrière moi ici, aujourd’hui on voit une production de 2 kilowatt et on consomme 2 kilowatt, avec une capacité maximum de 15 kilowatt.

Aymeric AVISSE : Donc pour la passerelle des panneaux solaires, et pour la machine des packs de batteries. Mais alors pourquoi avez-vous opté pour ce système en particulier ? Certains optent pour des voiles, d’autres pour des conteneurs avec mâts rétractables, d’autres du kite, ou encore des carburants synthétiques, pourquoi le choix de l’hybridation électrique ?

Patrice LE GOUALHER : Les voiles ont été rapidement été écartées parce qu’avec ce tirant d’air de 10 m quand tout est rabaissé ce n’était pas possible; l’hydrogène a également été écarté rapidement en raison de la réglementation : elle commence à évoluer mais il n’y avait pas de règlementation claire à l’époque, par exemple le projet de la barge Zulu 6 en pile à combustible sur du fluvial vient seulement de recevoir les clarifications règlementaires pour avancer sur cette technologie ; pour les carburants synthétiques, nos moteurs actuellement peuvent  tourner avec une proportion de 30% de ces carburants mais ce qui était le plus rapide avec notre contrainte d’échéance de mise en service en octobre 2022, c’était l’hybridation par batteries avec shore-power.

Aymeric AVISSE : Tu parlais du Zulu 6, c’est un navire que nous avons eu la chance de visiter l’an dernier, il était déjà pourvu d’une propulsion électrique avec des groupes électrogènes. SOGESTRAN, via son bureau d’études, est venu remplacer les groupes électrogènes par des piles à combustible. Vous disposez donc d’un bureau d’études qui planche sur les projets à la demande, pourquoi cette transposition n’était-elle pas possible ?

Patrice LE GOUALHER : On est effectivement dans le même groupe mais sur des entités différentes, avec la partie fluviale qui a sa propre règlementation ; nous sommes ici sur un navire de mer, nous devions répondre à un client qui voulait un bateau clés en main aux dimensions du canal de Tancarville et qui soit prêt à l’automne 2022. La transposition de la technologie n’était tout simplement pas possible tant au niveau de l’OMI que de la Classe.

Pointe de Caux © Jeune Marine DR

Aymeric AVISSE : On sent chez les armements français une réelle effervescence pour diminuer les émissions de CO2. SOGESTRAN est moteur dans cette course, avec notamment le Pointe de Caux mais aussi le ZULU 6 côté fluvial ; mais vous avez aussi les navires de la Maritime Nantaise : allez-vous transposer ces technologies aux rouliers de la MN ? Pensez-vous à développer d’autres technologies ?

Patrice LE GOUALHER : Pour chaque projet, suivant les contraintes et les particularités du marché, le bureau d’études va mettre en balance les dernières innovations pour décarboner le transport. SOGESTRAN vient par exemple de mettre à l’eau l’ENERGY STOCKHOLM, le plus gros  avitailleur GNL d’Europe avec une capacité de 8.000m3, qui reprendra la technologie hybride du Pointe de Caux, avec donc propulsion électrique, groupes électrogènes et batteries ; à la différence du Pointe de Caux, les groupes pourront également être alimentés par le boil-off (gaz d’évaporation) de la cargaison. Mais pour tous les projets à venir des choix sont faits, avec notamment la solution vélique des rotor flettner et des ailes rigides, l’hybridation batteries ; l’hydrogène on y viendra certainement, le shore-power sur toutes les futures unités, et pour la Maritime Nantaise, nous avons le MN PELICAN qui est le navire démonstrateur de la voile gonflée WYSAMO de Michelin.

Aymeric AVISSE : Donc SOGESTRAN envisage réellement toutes les solutions possibles pour décarboner, depuis le fluvial jusque sur les plus grosses unités, et vous avez opté pour ces unités comme le Pointe de Caux pour la propulsion électrique qui reste le couteau suisse pour changer d’alimentation.

Patrice LE GOUALHER : Aujourd’hui oui, décarboner son modèle c’est bien mais il faut tenir compte également de la chaîne d’approvisionnement : les carburants synthétiques, c’est bien mais il faut pouvoir s’en faire livrer ; la batterie répondait rapidement au besoin c’est donc la meilleure solution pour nous.

Aymeric AVISSE : Tu nous parlais du groupe SOGESTRAN avec Maritima, Maritime Nantaise, pourrais-tu nous expliquer l’organisation car on a l’impression qu’il y a beaucoup d’entités ?

Patrice LE GOUALHER : Le siège de SOGESTRAN est au Havre, c’est une entreprise familiale qui a fêté ses 75 ans ; historiquement c’est une entreprise du fluvial et leader français du fluvial avec plus de 150 unités, et c’est devenu un acteur d’importance dans le maritime : ça a commencé dans le milieu des années 90 avec le rachat de Maritima, des pétroliers de 90m effectuant de l’avitaillement sur Marseille, puis en 2017 le rachat de Maritime Nantaise, en 2020 la création de SOGESTRAN Shipping.

Aymeric AVISSE : Tu nous as parlé de trois entités : Maritima, Maritime Nantaise et SOGESTRAN Shipping. Ces trois entités en silos ou tu pourrais embarquer demain sur le MN TOUCAN, par exemple ?

Patrice LE GOUALHER : Dans la partie maritime il y a deux entités avec la Maritime Nantaise d’un côté et SOGESTRAN Shipping de l’autre. SOGESTRAN Shipping opère deux navires sous pavillon français, et SOGESTRAN Shipping « maison mère » opère toutes les branches maritimes de transporteurs de produits pétroliers, plus un pétro-chimiquier et un cimentier.

Aymeric AVISSE : Combien êtes-vous à bord ?

Patrice LE GOUALHER : ici on est 12.

Aymeric AVISSE : Que des Français ?

Patrice LE GOUALHER : non, trois Français et des Philippins.

Aymeric AVISSE : A quels postes les Français ?

Patrice LE GOUALHER : Commandant, Chef Mécanicien et Second Capitaine.

L’équipage au complet du Pointe de Caux © Jeune Marine DR

Aymeric AVISSE : Et comment fait-on pour te rejoindre ?

Patrice LE GOUALHER : Pour la partie SOGESTRAN Shipping il y a les exigences de la matrice avec une expérience pétrole/chimique qui exige que le commandant et le second Capitaine aient à eux deux 3 ans effectifs de navigation dans la fonction, idem pour le Chef Mécanicien et son second, et idem pour les lieutenants.

Aymeric AVISSE : Il y a une fidélisation qui est très importante du coup ?

Patrice LE GOUALHER : Tout à fait, tous les majors pétrole/chimique l’imposent, aujourd’hui on recherche des profils avec expérience pétrole et chimique. Sur ces postes supérieurs il y a des développements à venir, des renouvellements de flotte, un projet de 3 navires de transport de CO2 (9.000, 12.000 et 18.000 tonnes), deux navires de 5/6.000 tonnes en projets, on embauche à tous les niveaux, second, chef, commandant et à terme des lieutenants peut-être !

Aymeric AVISSE : Si vous souhaitez rejoindre Patrice chez SOGESTRAN Shipping ou Etienne qu’on avait rencontré sur le MN TOUCAN à la Maritime Nantaise, vous trouverez à suivre toutes les infos. Merci Patrice de nous avoir reçus, et à très bientôt !

Pointe de Caux © Jeune Marine DR

 

Vous souhaitez rejoindre Patrice chez SOGESTRAN Shipping ou Etienne ROBIC chez Compagnie Maritime Nantaise ? Contactez l’armement par mail à l’adresse manning@mn-nantes.fr ou Erwan GLOANNEC, le Directeur d’Armement.

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